Les Piles intermédiaires

Le quotidien bordélique d'une traductrice à l'assaut des idées reçues. (Et des portes ouvertes, aussi, parfois.)

Le jour où je me suis abonnée à FranceTerme

Un moment d’absence, sans doute, vous dites-vous ? C’est plus compliqué que ça.

Une collègue terminologue venait de me remettre une toute jolie brochure bleue consacrée au vocabulaire économico-financier et éditée par la DGLFLF. Passé le moment d’extase propre au traducteur à qui l’on offre un nouveau jouet glossaire, passée la satisfaction de tenir entre mes mains ce charmant fascicule (imprimé sur du papier recyclé, me suis-je fait la réflexion pour me donner bonne conscience d’en détenir un exemplaire papier alors qu’il est disponible en ligne, avec quelques autres du même genre rangés par là sous la rubrique « Vocabulaire »), j’ai donc ouvert le Vocabulaire de l’économie et des finances – Enrichissement de la langue française – Termes, expressions et définitions publiés au Journal officiel.

Et avec lui, c’est tout un monde qui s’est ouvert à moi.

Les termes, expressions et définitions contenus dans le présent fascicule sont issus pour l’essentiel des travaux de la commission spécialisée de terminologie et de néologie de l’économie, des finances, de l’industrie, du commerce, de l’artisanat et des services, ainsi que de ceux de différentes autres commissions spécialisées, dans le cadre du dispositif d’enrichissement de la langue française.

Ce recueil regroupe un ensemble limité de termes et définitions relevant du domaine de l’économie et des finances, qui ne se trouvent généralement pas dans les dictionnaires généraux, ou qui s’y trouvent mais avec un sens différent de celui qu’ils ont dans ce domaine particulier.

La publication de ces termes et définitions a pour but d’enrichir la langue française en facilitant la compréhension de notions parfois mal connues du public et d’en recommander l’emploi, hors du cercle professionnel, à tout locuteur soucieux de s’exprimer en français.

(Le gras est d’origine.)

C’est un drôle de truc, ce dispositif d’enrichissement de la langue française. On sent bien que les gens (certainement fort compétents) qui en font partie doivent se sentir en permanence tiraillés entre deux penchants linguistiques. D’un côté, la volonté bien compréhensible et même légitime de faire évoluer la langue française et de ne pas céder à l’anglais systématique dans tous les domaines spécialisés ; de l’autre, pour faire court, le risque de tomber à tout moment dans un ridicule fini à force de vouloir tout franciser à tout prix. Il avait déjà été question des cas du « chat », du « tuning » et autres « buzz » en 2010 sur ce blog, et l’actualité récente en a remis une couche avec le « mot-dièse » (voir sur ecrans.fr ou chez 01net.com).

Ce tiraillement est aussi bien sûr le lot du traducteur, qui s’efforce tout à la fois de respecter le « canon » normatif définissant ce qui s’écrit et ce qui ne s’écrit pas, d’éviter les anglicismes quand il le peut et quand Bob les identifie comme tels, de ne pas adopter une novlangue aseptisée, tout en respectant la terminologie réellement employée dans les secteurs pour lesquels il traduit et en se fiant aussi un peu à ce qui lui écorche les yeux, il faut bien l’avouer. Depuis un an qu’elle traduit justement de la novlangue aseptisée et généralement assez mal rédigée, votre blogueuse dévouée se pose encore plus de questions qu’auparavant et feuillette donc avidement toute publication susceptible de l’aider à affirmer son jugement en la matière.

Devant le Vocabulaire de l’économie et des finances, on est un peu face à un pêle-mêle de tous ces dilemmes. Il y a dans le lot de bonnes surprises, des choix étonnants (dont je ne suis pas toujours bien placée pour juger, mais disons qu’ils font à tout le moins sourire le profane), des mots dont il est permis de penser (avec toute la prudence qui me caractérise dans mes jugements linguistiques subtils) que jamais ils n’entreront dans le vocabulaire courant, quelques superbes spécimens de langue de bois, sans oublier quelques termes dont on peut se demander ce qu’ils ont à voir avec la choucroute (économique et financière, rappelons-le). Je te laisse classer selon ton humeur la poignée de définitions qui suit dans les catégories correspondantes, lecteur joueur de ce blog.

Tous ces termes recommandés et parus au Journal officiel sont réunis sur FranceTerme, un site du ministère de la Culture (« il regroupe un ensemble de termes de différents domaines scientifiques et techniques et ne constitue en aucun cas un dictionnaire de langue général. (…) L’emploi des termes recommandés s’impose à l’administration, mais chacun peut les adopter. »). On peut même participer à l’enrichissement de la langue française en envoyant des suggestions, c’est dire si c’est sympatoche.

J’ai un peu hésité avant de sauter le pas. Pourquoi s’abonner aux mises à jour de FranceTerme, me direz-vous ? Des raisons diffuses et contradictoires m’animaient, je l’avoue. Oui, je rigole doucement en lisant qu’on est prié d’utiliser « aubette » et non « abribus » (qui est une marque déposée), « sac gonflable » et non « airbag », « arroseur » au lieu de « spammeur », ou « bloc-note » plutôt que « blog », et j’estime qu’on aurait tort de se priver d’une source de bonne humeur en ce printemps morose. Pourtant, FranceTerme est aussi un révélateur passionnant des problèmes linguistiques qui se poseront peut-être à moi demain ou après-demain, un observatoire très vigilant des nouveaux mots qui apparaissent dans nos échanges (spécialisés ou non), bref tout à la fois une veille et un défrichage linguistiques potentiellement utiles. Et puis il y a quelque chose d’à la fois admirable et incongru à prendre la peine d’imaginer ainsi de nouveaux mots, même si un paquet d’entre eux sont voués à une existence éphémère ou marginale. C’est donc ce jour-là, après m’être tour à tour émerveillée et gaussée, que j’ai décidé de m’abonner à FranceTerme. Après tout, pourquoi se priver, je vous le demande ? Je vous raconterai.

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