Éditeur de DVD, plus qu’un métier, une passion
Intérieur jour, Milan.
Aldo et Fabio arpentent fiévreusement un bureau étriqué en s’efforçant de ne pas se rentrer dedans à chaque demi-tour.
L’atmosphère est tendue.
– Ça craint, Aldo, il faut qu’on trouve un truc pour le vendre, ce DVD. Une catchline catchy.
– Bof, il est 12h35, ça peut pas attendre après le déjeuner ?
– Le maquettiste veut le projet définitif, on n’a plus le choix.
– Attends, Fabio, on est des markéteux, ou what ? Allez, je t’accorde deux minutes de brainstorming intensif avant la pause déj.
– Ouais, ouais, zou, on se motive.
– Tiens, tu vas voir, c’est facile : si on mettait l’accent sur le fait que ce film est difficile à trouver dans certains pays d’Europe ? L’exclu, ça fait vendre, nan ? Et puis ça sera peut-être l’occasion de le fourguer à l’étranger, en plus.
– Hmm, chais pas, chuis pas convaincu. T’as pas autre chose ?
– Euh… Arrête de tourner en rond, d’abord, j’ai l’impression d’être un poisson rouge.
– Bon, bon.
– Ou alors, on pourrait écrire en gros un truc du style : « un chef d’œuvre fascinant entre western et film noir, avec Robert Mitchum dedans et Raoul Walsh à la réalisation ». C’est bien, ça, et puis en plus c’est factuel, on prend pas de risques, t’en penses quoi ?
– Pff… Nan, nan, vraiment ça me parle pas.
– Sinon, on pourrait tout miser sur le côté esthétique de la jaquette ?
– Esthéquoi ?
– Oh, ça va. Je veux dire mettre en avant ce noir et blanc somptueux, coller une photo qui déchire sa mère avec les stars du film. Pour faire genre « c’est un classique quasi indépassable en noir et blanc, achetez-nous questo cazzo di DVD ». Alors, alors ?
– Gnnnniiii…
– T’abuses, Fabio. Nan, franchement, t’es pas constructif. Tu veux qu’on potasse des bouquins sur le western ou sur Raoul Walsh pour trouver une idée, quelque chose qui parlera aux cinéphiles ?
– C’est une blague ?
– Ouais.
– Ah, attends, attends, attends ! Ça y est, j’ai une idée top moumoute qui va résoudre tous nos problèmes.
– Dis, dis.
– On va plutôt faire une jaquette merdique toute floue où on ne reconnaîtra même pas les acteurs et écrire en gros au dos LE truc à deux balles qui n’intéressera personne : c’est le film que Jim Morrison est allé voir au cinoche le soir de sa mort.
– Ah ouais.
– …
– C’est un peu nul, quand même, nan ?
– C’est tout pourri. Mais tu l’as dit toi-même, il a plein d’arguments pour se vendre tout seul, ce film. Et puis c’est pas comme si le secteur du DVD était en crise, hein. En plus, j’ai la dalle.
– Ça roule. Pfiou, une bonne chose de faite. Qu’est-ce qu’il y a à la cantoche ?
– Du pigeon.
– Cool. Ah, attends, un dernier truc.
– Pour la jaquette ?
– Nan, pour le DVD en lui-même. On est bien d’accord : pas de sous-titres de traduction en italien, hein. Juste des sous-titres sourds et malentendants calqués sur la version doublée et pas sur la VO. Comme ça, si par hasard il y a des spectateurs qui auraient envie de se lancer dans la VOST, ben on est sûrs qu’ils ne recommenceront pas !
– Mouahahaha ! T’es encore pire que moi, Aldo !
– Gnark gnark gnark !
Voilà voilà. M’apprendra à acheter une édition italienne de La Vallée de la peur (Pursued, Raoul Walsh, 1947, donc) pour changer un peu des éditions allemandes et espagnoles de films difficiles à trouver par chez nous. Bououououh ! Heureusement qu’une fois sorti de son boîtier et visionné sans sous-titres, ce film est toujours une merveille à la hauteur de mes souvenirs lointains. M’enfin quand même, un gâchis pareil, ça ne devrait pas être permis. Bououououh !