A new day, a new excuse
(ou : l’art de décourager un traducteur d’arrêter de fumer)
Elle alluma sa clope ultra-légère et sentit le poison tristounet picoter l’arrière de son palais, puis déglutit machinalement et recracha une fumée claire.
Pour la cinquante troisième fois depuis le début de la semaine, elle se dit qu’elle n’avait plus vingt ans et qu’il serait temps d’arrêter cette saloperie qui ne lui procurait plus grand plaisir depuis longtemps et qui grignotait méthodiquement le peu de souffle qui lui restait. Pleine de bonne volonté (quoique légèrement sceptique quant à l’efficacité réelle des campagnes de santé publique auprès des fumeurs de longue date), elle se souvint avoir vu à plusieurs reprises dans les couloirs de l’Organisation une affiche qui vantait les bienfaits de l’arrêt du tabac. Elle avait du reste bien en tête le visuel jaune sur fond noir et le slogan en anglais.
Rien que ça. « Become unstoppable », suggérait un autre prospectus qu’elle avait également croisé sur un présentoir et qui faisait de la retape pour le programme maison d’arrêt du tabac.
L’espace d’un instant, elle essaya de réactiver les petits trucs qu’elle avait appris avec l’auto-hypnose quelques années auparavant et qui lui avaient plutôt réussi à l’époque dans un tout autre domaine : fermer les yeux, essayer de s’imaginer sans cigarette à la main, visualiser les gestes qu’elle ferait à la place, ressentir mentalement les goûts qu’elle ne manquerait pas de redécouvrir, et… et… et puis elle sentit peu à peu que sa concentration faiblissait tandis qu’une question désolante lui envahissait l’esprit.
« Mais au fait, elle a été traduite, cette campagne ? »
Elle maudit in petto cette stupide déformation professionnelle qui détournait son attention et remonta à son bureau en passant par le présentoir réservé à la communication interne pour en avoir le cœur net.
There it was, il lui semblait bien avoir vu un logo équivalent en français :
Voilà qui était fort bien tourné, songea-t-elle, plutôt naturel et parlant. Puis son attention fut attirée par la version française de la plaquette intitulée « Become unstoppable » et elle blêmit.
Ils n’avaient pas pu faire ça. Pas pu écrire, encore moins imprimer ça. « Inarrêtable », ce n’était pas un mot, ça n’existait pas, c’était impossible.
Mais si, visiblement.
Remise de ses émotions, elle décida que tout compte fait, non, ce programme n’était pas pour elle.
Et elle redescendit aussi sec s’en griller une.