Les Piles intermédiaires

Le quotidien bordélique d'une traductrice à l'assaut des idées reçues. (Et des portes ouvertes, aussi, parfois.)

Fraktur, dicos et Art nouveau
(ou : parlons d’autre chose, si ça ne vous ennuie pas)

Ce vikend, si vous n’étiez pas au fond d’une grotte depuis deux ans, vous savez qu’il y avait votationnade (un truc du genre). Et qui dit votationnade, pour votre blogueuse dévouée, dit retour à son bureau de vote strasbourgeois, où elle avait pris soin de s’inscrire à l’automne dernier, ne pensant pas forcément replier bagages six mois plus tard pour s’exiler outre-Moselle.

Or figurez-vous qu’une merveille m’attendait chez ma môman à Strasbourg : un dictionnaire français-allemand Sachs-Villatte en deux volumes datant de 1904, gentiment déposé à mon intention par une généreuse amie de ma chère mère (j’ai des plaisirs simples). Alors si vous voulez bien, concentrons-nous sur ladite merveille et oublions deux minutes la présidentielle, ça nous fera des vacances et ce sera moins déprimant (putain, 18% ?).

Bel objet, donc, d’abord, parce que le dos et la double page de garde sont ornés de charmants motifs Art nouveau (ou quelque chose d’approchant), voyez plutôt :

Etrange dico pour le lecteur d’aujourd’hui, parce que les mots allemands sont composés en Fraktur et que ça fait un peu mal aux yeux quand on n’est pas habitué.

(Vous vous souvenez de la Fraktur ? Hmmm ? Une saga (je (m’auto-)cite) « politico-typographique et germanique absolument fascinante » ? Allez, cliquez là, je vois bien que vous êtes perdus.)

Et puis curiosité linguistique, bien sûr aussi, parce qu’on y trouve des mots un peu (voire complètement) oubliés, côté français comme côté allemand.

Personnellement, « friteau », « friteur » et « fritteux » m’étaient inconnus. Je passe sur la « fritillaire », de toute façon je suis nulle en noms de fleurs. On notera l’absence de « friteuse » en 1904, of course ! Le « frittage » dont il est question n’a rien à voir avec une variante du crêpage de chignon, mais désigne une étape de la fabrication du verre. L’article « frivolité » a attiré mon attention sur un sens du mot que j’ignorais (« accessoires de la toilette féminine (bijoux, vêtements) généralement sans valeur », dixit le TLFI). Et « frocaille » comme « frocard » me semblent tout de même être de fort désuètes façons de parler (pas très gentiment) du clergé.

Il ne faut pas croire, ça peut être utile d’avoir un ouvrage dans ce genre. Quand (il y a si longtemps… euh, il y a encore quelques mois, donc) je traduisais les intéressants textes des années 1920 que me confiait cliente A, il m’est arrivé de chercher des termes vieillots, datés, oubliés, que j’aurais sans doute mieux trouvés dans cet ouvrage. Alors oui, bon, je ne devrais plus en avoir vraiment besoin là dans l’immédiat. Reste qu’un traducteur n’a jamais assez de dictionnaires, à mon humble avis, si bien qu’indéniablement, l’amie de ma mère a fait une heureuse.

On notera qu’une petite feuille insérée au début du dictionnaire propose au lecteur (avec maintes circonlocutions et tournures passives) de signaler les éventuels oublis de cet imposant ouvrage au… Professor Langenscheidt (les germanistes apprécieront).

Vous croyez que je leur écris, pour la friteuse ?

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