Les Piles intermédiaires

Le quotidien bordélique d'une traductrice à l'assaut des idées reçues. (Et des portes ouvertes, aussi, parfois.)

J’ai même rencontré des réalisateurs heureux

Si si.

Je crois que c’était la première fois que j’avais l’occasion de discuter avec môssieur le réal de la traduction de son docu. J’avais déjà traduit des fictions et des documentaires pour des boîtes de production (sans passer par l’intermédiaire « labo », donc), mais c’était toujours l’assistante du réalisateur qui s’occupait de la basse besogne consistant à superviser la traduction en français de l’Oeuvre en vue de sa diffusion en France. Ben oui, faut pas pousser.

Alors il faut l’avouer, c’était un peu rock’n’roll : tournage pas tout à fait bouclé encore le mardi (le montage on n’en parle même pas), écriture du commentaire à l’arrache, traduction en parallèle à mesure que le texte allemand et les images définitives prennent forme, récupérage de la vidéo sur une clé USB auprès d’un cadreur qui, ça tombe bien, voit le réal le mercredi et vient faire un tournage sur l’île Saint-Louis le jeudi, arrivée du texte allemand par petits fragments généralement vers 3 h du matin quand le réal tombe de fatigue et décide d’éteindre enfin son ordi, le tout pour une projection du docu à la chaîne française qui l’a commandé le samedi matin, au terme d’une semaine au rythme du coup assez infernal.

Le réal, il est allemand et il parle « très bien français », m’a dit mon contact de la boîte de prod. Là, si tu es méfiant comme moi, tu te dis : « Argh, nooooooon, mauvais plan, il va réécrire ma trad n’importe comment en ajoutant des fautes et des contresens partout. » Mais en fait, non, on a (parfois) tort de ne pas faire confiance à l’intelligence et à la lucidité des gens (j’ai dit parfois). Il parle français suffisamment bien pour saisir une nuance et en suggérer une autre – à partir de l’allemand, sans se prononcer de façon péremptoire sur le français ; mais il ne prétend aucunement être bilingue, imposer des choix moches, voire erronés, ou réécrire les phrases à sa sauce.

Il a manifestement une affection particulière pour les mots, il est très attentif à leur sonorité, il se renseigne sur la rareté de tel ou tel terme français qu’il ne connaît pas, « parce que c’est un mot très rare en allemand, j’aimerais bien que ça le soit aussi en français ». Il l’aaaaiiiime, son film, il le bichonne. Il a une voix de plus en plus enrouée à mesure que défilent les nuits semi-blanches et les paquets de clopes, ses chiens en ont marre qu’il soit enfermé dans son bureau en oubliant de les sortir, mais au final, après une ultime heure au téléphone vendredi passée à se creuser la tête ensemble sur trois mots pénibles, il est content. Content ! Heureux, presque, qu’il me dit.

Et moi aussi, je suis contente, en fait. J’aurais bien proposé d’alléger le commentaire de quelques longueurs – je l’ai fait à un ou deux endroits, et puis je n’ai pas osé aller plus loin, c’est plus difficile quand on est en contact direct avec l’auteur du commentaire d’origine qui tient beaucoup à chaque mot. Mais dans l’ensemble, je suis contente.

Non, ce n’était pas idéal, comme conditions de travail.

Mais c’était passionnant et je recommence quand tu veux. Pas cette semaine, juste, parce que là, si tu permets, je récupère.

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