Apprends l’alphabet russe. Si si, je préfère.
En ces temps troublés où 5 minutes sur I-télé suffisent à foutre drôlement le cafard, votre blogueuse dévouée vous prouve une fois de plus qu’elle sait choisir judicieusement ses combats et ses motifs d’indignation.
À une époque, on était assez sage, typographiquement parlant, quand il était question de la Russie.
Je ne sais pas au juste quand les choses ont commencé à déraper, mais je me souviens de la première fois où ça m’a agacée. Ça devait être vers 1996 et l’objet de mon exaspération était cette affiche :
Tu le vois, le titre, lecteur moyennement attentif mais quand même de ce blog ?
Bon. Si tu es de langue française ou anglaise, par exemple, tu lis sans trop faire gaffe : « Underground ». Et c’est le but, en fait, car c’est – coïncidence incroyable – le titre du film.
Sauf que les concepteurs de cette affiche (pas mal, au demeurant) ont jugé bon d’introduire des caractères pseudo-cyrilliques dans le titre. Je dis « pseudo », parce que le « Ц », en vrai, il se lit « ts » et le « Я », il se lit « ia ». Donc si tu lis à voix haute ce joyeux mélange qui ne veut rien dire, en fait, ça donne « Tsndergiaotsnd ». Tout de suite, c’est moins limpide.
Depuis, j’ai l’impression que ça n’arrête pas. Ça me tapait sur les nerfs du temps où je vivais en Angleterre et passais toutes les semaines devant un bar à vodka branchouille appelé « Kafé Da! » – orthographié bêtement, je ne sais plus comment exactement et je n’ai pas retrouvé de photo de l’endroit pour me rafraîchir la mémoire, mais ça avait l’air bête (peut-être bien un « Д » (= d) à la place du « a » de « Da » – ce qui ferait « Café Dédé », très tendance en effet).
Le cinéma continue en tout cas allègrement dans cette voie :
Là, rappelons dans un esprit pédagogico-langue de pute que le « И » russe correspond au son « i ».
Et les affiches de concerts et spectacles ne sont pas en reste…
« Votchage ep Iatsssie », ça vous parle ?
On continue avec, dans l’ordre :
– les spécialités russes qui remplacent le « o » par une sorte de « Ф », c’est-à-dire un « f ».
– l’expo « Russenko » qui devient « Russeïko » si on lit le « И » comme il faut (voire Gusseïko, tiens, soyons fous)
– une affiche d’une école d’arts appliqués qui rend hommage à une série de films d’animation primés en Russie (avec une inventivité folle, il faut le souligner)…
… et un t-shirt doublement absurde, le « c » inversé n’existant pas dans l’alphabet russe.
Mais le pire, ce sont peut-être les flyers de soirées, à peu près tous conçus sur le même modèle d’une banalité sans nom : un peu de rouge, un peu de blanc, un Я, un И et un Ф ni vu ni connu, et zou, je t’organise ta soirée russe… (si vraiment tu as envie de voir ça en grand, lecteur toujours un tantinet masochiste de ce blog, fais-toi plaisir et clique).
En résumé : OK, tout le monde s’en fout sauf moi. Mais quand même. Diantre, ai-je même envie de dire. C’est bien joli de vouloir « faire russe », c’est beau comme tout et exotique en diable (mais pas trop quand même, juste ce qu’il faut), les caractères cyrilliques, et en plus ça donne un petit style soviético-funky de la grande époque qui est visiblement cool en diable (Lénine, la faucille et le marteau, tout ça, c’est trop sympa, non ?). D’accord. Mais il serait peut-être temps de faire preuve d’un peu d’imagination et d’arrêter de tout mélanger. Nan mais.
Sinon :
– une mine d’affiches soviétiques, ici.
– l’excellent (et fort érudit) Alain Korkos avait par ailleurs écrit il y a quelques années une très bonne chronique sur comment la pub d’aujourd’hui pique des idées aux affichistes russes. L’occasion, lecteur peut-être non abonné à Arrêt sur Images de ce blog, de découvrir cet excellent site (j’ai encore quelques parrainages à distribuer généreusement – un mois d’accès au site pour voir à quoi ça ressemble, si vous me le demandez vraiment très gentiment).