Les Piles intermédiaires

Le quotidien bordélique d'une traductrice à l'assaut des idées reçues. (Et des portes ouvertes, aussi, parfois.)

Orgueil et préjugés

Il y a quelques mois, dans un bureau d’une structure du ministère de la Culture attachée à la défense de la langue française, votre blogueuse dévouée essayait, en compagnie d’une acolyte de choc, de convaincre deux dames fort aimables de co-financer un projet de publication consacré à la traduction audiovisuelle.

En vain. Mais là n’est pas la question. L’une des premières phrases qu’a prononcées l’une des deux dames, après l’échange des politesses d’usage et la présentation dudit projet, a été : « Il faudrait parler de la traduction des titres de films. Souvent, les titres anglais ne sont pas traduits, ou pire encore, on invente un autre titre anglais pour la sortie en France. » (je cite de mémoire, donc approximativement, hein).

Là, on a senti qu’un gros travail pédagogique allait être nécessaire. Non, ce ne sont pas les traducteurs/adaptateurs de l’audiovisuel qui choisissent les titres français des films étrangers distribués en France. Mais pourquoi nous met-on ça sur le dos ? Cette critique fait partie des idées reçues (cf. « préjugés ») les plus fréquentes que j’entends sur notre métier. Ça va du billet de blog outragé…

… au groupe Facebook tout aussi outragé…

… en passant par la question con outrageusement outragée sur un site de questions cons…

… et même mes chéris de Langue Sauce Piquante s’y mettent, dans un article datant de quelques années :

Je crois qu’en fait, il y a un énorme malentendu sur cette question, parce qu’en réalité, un titre de film n’est jamais traduit par un traducteur. On pourrait même dire qu’un titre de film n’est jamais traduit, tout court. Je veux dire : le choix du titre français ne passe pas par la traduction du titre original, laquelle est un truc très accessoire qui peut éventuellement orienter le choix du titre français, mais à la marge seulement.

Slate.fr a récemment mis à jour un article initialement mis en ligne en août dernier et intitulé « Comment retitre-t-on un film américain pour sa sortie française ? », qui rappelle au détour d’une phrase :

Comment choisit-on les titres des films américains qui sortent en France? Pourquoi en traduire certains et pas d’autres, et retitrer les troisièmes… mais de nouveau en anglais?

Chaque film étant traité comme un cas particulier, il n’existe pas de recette que les distributeurs appliquent à telle ou telle catégorie de films.

Eh oui, ce sont bien les distributeurs qui décident. Donc inutile de tomber à bras raccourcis sur ces pauvres traducteurs de l’audiovisuel, on n’y peut rien, je proteste vigoureusement (cf. « orgueil »). Et c’est là que ça me scie : tout le monde sait par exemple que ce sont les éditeurs qui choisissent le titre des romans qu’ils publient, comment peut-on imaginer qu’il n’en soit pas de même pour un produit culturel tel qu’un film, qui représente un enjeu commercial nettement plus important qu’un bouquin, fût-il signé Dan Brown ou Marc Lévy ?

Bref. Si vous déplorez que Wild Things ait été rebaptisé Sex Crimes ou si vous regrettez que The Deer Hunter ne soit pas sorti sous un titre du style Le Chasseur de cerf, croyez-bien qu’on n’y peut rien, nous traducteurs.

Vous pouvez
– vous installer au Québec, où l’on traduit bien plus de titres anglo-saxons (et quand on sait que Speed est devenu Clanches ! à sa sortie là-bas, on se dit qu’on est sauvés).
– ou lire quelques articles de qualité variable sur le sujet, comme « Titres de films étrangers mal traduits en français: le cas du mot ‘enfer' », « Enquête : ‘Traduction’ de titres de films », « Délires de traducteurs : l’imagination en panne sèche… «  et « Délires de traducteurs : in english malgré tout… » pour retrouver des énumérations de versions françaises de titres américains généralement assez réjouissantes.

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