Les Piles intermédiaires

Le quotidien bordélique d'une traductrice à l'assaut des idées reçues. (Et des portes ouvertes, aussi, parfois.)

Est-ce qu’on fait tous le même métier ? « Tous », je veux dire, les traducteurs free-lance, hein. Chers chirurgiens cardiaques, garagistes, juristes d’entreprise, coiffeurs et ébénistes qui, par milliers (voire plus), suivez ce blog au quotidien, vous n’êtes pas obligés de vous sentir visés (mais vous pouvez si vous voulez, chuis pas sectaire).

C’est difficile à dire. On utilise des outils de TAO ou on n’en utilise pas. On travaille avec des clients directs ou avec des agences. On propose des prestations annexes (rewriting, communication) ou on s’en tient à la traduction pure. On sous-traite et on fait occasionnellement de la gestion de projets multilingues, ou on préfère s’en tenir au côté traduction/écriture qu’on préfère. On est « droits d’auteur » à 100%, ou « honoraires » à 100%, ou un peu des deux. On est incollable sur la dernière loi de finance, ou on pense que LOLF est une abréviation SMS et on suit l’évolution de la fiscalité des indépendants de très, très loin, voire on ne pense pas à la suivre. On a un comptable et on paie l’impôt sur les sociétés parce qu’on est en SARL, ou on fait ses calculs au dernier moment pour déclarer ses droits d’auteur en traitements et salaires.

On gère son activité comme une entreprise, ou on refuse catégoriquement d’admettre qu’on en est une, en somme.

Entre ces deux extrêmes, chacun peut trouver sa place, évidemment (chuis trop généreuse, je sais). À chacun sa dose de gestion de trésorerie, de suivi comptable, d’investissements semi-perso/semi-pro à amortir, de prospection systématique, de cartes de voeux professionnelles, de renégociation annuelle des tarifs, de site pro, de participation à des salons spécialisés, de networking, de cartes de visite, de papier à en-tête, etc. etc.

J’ai commandé The Entrepreneurial Linguist: The Business-School Approach to Freelance Translation, il y a quelques mois, parce que ce titre radical m’intriguait (« business-school approach », mazette !).

Et voici comment les auteures présentent leur bébé sur leur site :

The “Entrepreneurial Linguist: The Business-School Approach to Freelance Translation” book gives freelance linguists all the tools they need to go from “just” linguists to being Entrepreneurial Linguists. It includes easy-to-understand lessons based on teachings of business school, with many case studies, examples, etc. The book focuses on how to market yourself, how to reap the benefits of web 2.0, what economics can do for you, advertising strategies, how to streamline your bookkeeping, how to build long-term relationships, insightful tips on productivity, time management, and life/work balance, professional development, and much, much more. Translation-related cartoons from talented cartoonist and translator Alejandro Moreno-Ramos will have you start each chapter with a smile. The following is a part of the index:

1) The New Mindset
2) Organization and Accounting
3) Social media and Web 2.0
4) Marketing
5) Business Development
6) Pricing
7) Negotiating
8) Professional Development
9) Giving Back
10) Work/Life Balance
11) Entrepreneurship Recap

Je ne sais pas au juste à quoi je m’attendais en achetant ce petit livre ; à apprendre des choses et à trouver de nouvelles idées, vraisemblablement. Finalement, bien qu’il soit tout à fait complet, instructif et accessible, et qu’il y ait effectivement de bonnes idées à y glaner, The Entrepreneurial Linguist ne changera pas ma vie. D’une part, parce qu’il donne surtout des conseils de bon sens (utiles, encore une fois, mais pas révolutionnaires), et d’autre part parce qu’au fond, je me rends compte qu’il y a déjà une bonne dose d’entreprise dans mon activité et je n’ai pas envie d’en mettre beaucoup plus pour l’instant. Il n’y a là ni science infuse ni satisfaction béate de ma part ; simplement, chacun fait ses choix en fonction de ses besoins, de ses ambitions et de ses capacités, et les miens me correspondent.

Un petit livre pratique et bien fait, en résumé, mais qu’il faudrait surtout à mon sens confier aux jeunes diplômés pour deux raisons :

  • Parce qu’il donne des outils pour travailler avec des clients directs – c’est même tout l’objectif de l’ouvrage. Non, un traducteur free-lance ne travaille pas forcément que pour des agences, un autre monde est possible et le client « direct » n’est pas inaccessible. Pour le coup, c’est une évidence qui vaut la peine d’être décortiquée.

  • Parce que dans The Entrepreneurial Linguist, il n’est nulle part question de TAO. J’ai beau ne pas être du tout fermée à l’informatique, aux nouvelles technologies et tout et tout, je n’arrive pas à me faire aux « CAT tools », komondi. Sans doute en partie parce qu’ils n’ont aucun intérêt pour la traduction audiovisuelle, qui représente deux bons tiers de mon activité. Mais à l’époque où la traduction dite « technique » constituait la quasi-totalité de mon travail, je n’étais pas plus convaincue.

    (Il faut dire que le prof chargé des cours sur Trados en DESS de traduction était un type extrêmement antipathique (j’allais écrire « un connard fini », mais je me retiens – ou pas, tiens, finalement) qui nous expliquait que dans la vie, il y avait des « traducteurs de quartier » et des « grands traducteurs ». Lui-même se classait visiblement dans la seconde catégorie et présentait la maîtrise de Trados comme l’apanage de ceux qui allaient réussir dans la vie. Comme il nous parlait aussi avec des trémolos dans la voix de la piscine qu’il avait pu s’offrir grâce à ses fins calculs d’indemnités de déplacement lui permettant d’escroquer ses clients quand il faisait des missions d’interprétation, il ne m’était décidément pas très sympathique et j’ai gardé une dent contre la TAO depuis cette douce époque. Fin de l’interminable parenthèse.)

    Je ne nie pas l’utilité de ces outils, mais il faut avouer qu’ils servent avant tout à engraisser de gros éditeurs de logiciels et à imposer aux traducteurs indépendants des réductions de tarifs considérables (alors que ceux-ci ont déjà investi des centaines d’euros dans le logiciel en question). Comme les agences de traduction, la TAO n’est pas une fatalité et on s’en passe très bien. Un bon point pour les soeurs Jenner, donc !

Judy A. Jenner et Dagmar V. Jenner, The Entrepreneurial Linguist: The Business-School Approach to Freelance Translation, EL Press, avril 2010, 200 pages.
À consulter en complément :
Le blog des auteures, Translation Times
Leur site consacré au concept d’Entrepreneurial Linguist

Prochaine lecture du même type dans ma pile « à lire » : The Prosperous Translator, de Chris Durban. Stay tuned!

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