Les Piles intermédiaires

Le quotidien bordélique d'une traductrice à l'assaut des idées reçues. (Et des portes ouvertes, aussi, parfois.)

Je me demandais…

« Je me demandais : qu’est-ce qui t’a donné envie d’apprendre le yiddish ? », s’interrogeait Karine l’aut’jour dans un commentaire. Excellente question (merci, Karine !), qui me fait une idée de billet toute facile à trouver en ces temps de maigre inspiration et de « pas le temps ». Et puis c’est l’occasion de raconter un peu ma vie et je ne suis pas du genre à louper ça.

Alors pourquoi le yiddish, donc ?

Tout a commencé, lecteur déjà captivé de ce blog, tout a commencé il y a à peu près un an, quand Loin d’où ? est sorti en France. Loin d’où ? (Lontano da dove? en VO), c’est le joli titre d’une fabuleuse biographie de Joseph Roth signée Claudio Magris (traduction : Marie-Noëlle Pastureau), écrite dans les années 70 mais jamais publiée en France jusqu’à l’année dernière. Pour vous resituer les choses et vous donner une idée de mon niveau de subjectivité et de bonne foi, Joseph Roth figurerait sans doute dans le top-10 de mes auteurs préférés si je faisais des classements en littérature (pas mon genre), et j’aime beaucoup Claudio Magris aussi. Donc je me suis jetée sur ce bouquin comme un candidat de MasterChef sur sa boîte surprise et je l’ai lu avec grand intérêt.

Dans cette très bonne (on ne le dira jamais assez) bio, Claudio Magris explore entre autres choses la place des origines juives de Joseph Roth dans son univers romanesque, ses personnages et… sa langue. Et à cet endroit, l’auteur rappelle notamment qu’il y a plein de petits mots en yiddish dans les romans de Joseph Roth.

C’est là que votre blogueuse dévouée a pris un air idiot et a commencé à se demander si on parlait bien du même auteur. Parce que je n’avais aucun souvenir de mots en yiddish dans les oeuvres de Roth – et certes, je n’ai de loin pas tout lu de cet auteur, mais quand même, quoi. Comme je n’avais pas Claudio sous la main, plutôt que de rester dans le doute, j’ai ressorti les romans de ma biblio et j’ai compris la raison de ma perplexité : ayant lu les bouquins de Joseph Roth en allemand, je n’avais pas repéré les mots en yiddish parce qu’ils étaient transcrits en alphabet latin, un peu noyés dans la masse, et surtout, parce qu’ils ressemblaient comme deux gouttes d’eau à des mots de dialecte ou de patois allemand.

Donc voilà le point de départ : une biographie d’un écrivain cher à mon coeur, deux-trois recherches qui m’apprennent qu’en effet, le yiddish est très proche de l’allemand, et cette impression curieuse : à l’oreille, je comprends plein de choses quand j’entends parler yiddish (pour peu que le locuteur ne parle pas trop trop vite), mais à la lecture, les caractères hébraïques me sont bien sûr complètement « opaques », ne laissent absolument rien transparaître qui pourrait servir de point d’accroche à une quelconque intuition de la langue… Bizarre, bizarre… Et drôlement attrayant, je trouve.

Donc le yiddish est venu rejoindre la pile de langues qui m’intéressent. Parce que si je récapitule bien, ça doit faire cinq ou six ans que je me promets à chaque rentrée de m’inscrire à des cours de langues et que je ne le fais pas. Pourtant, ce n’est pas le choix qui manque : il y a le wolof que j’aimerais apprendre parce que c’est la langue maternelle de The Man (et que The Man refuse obstinément de me donner des cours particuliers), le russe que j’aimerais reprendre sérieusement en vue, à long terme, d’en faire une langue de travail supplémentaire (vaste projet), l’espagnol qu’il serait quand même utile de savoir un peu parler, l’arabe qui a l’air vachement intéressant et qui est si bôôô à écrire, et puis bien sûr l’italien, tellement agréable à apprendre, et que j’ai lâchement laissé tomber il y a des années. Autant dire que le dossier « langues » était déjà chargé depuis un bon bout de temps, ce qui me fait dire que je ne me serais sans doute pas inscrite à la Maison de la culture yiddish s’il n’y avait pas eu un événement déclencheur supplémentaire.

Et ledit événement est arrivé au début de l’été : une conversation complètement fortuite avec Copine C. autour d’un lexique anglais-yiddish négligemment posé sur un bureau, qui m’a permis d’apprendre qu’elle s’intéressait elle aussi au yiddish et envisageait, pourquoi pas, de prendre des cours. Disons-le : rien n’aurait été possible sans Copine C. (si si, je t’assure, Copine C.).

À quoi ça tient, tout ça, hein ?

Alors voilà, les trois premier cours sont passés, j’y ai retrouvé le plaisir d’une atmosphère « cours de langue », je découvre très laborieusement un nouvel alphabet qui s’écrit à contre-courant (joliment dit, re-merci Karine !) et qui ne ressemble à rien de ce que je connais, ce qui n’est pas évident du tout. Donc pour l’instant, je suis ravie.

Mais c’est normal, après tout. On en reparlera dans six mois, histoire de voir où en est la motivation…

PS : je ne résiste pas… si vous ne connaissez pas Joseph Roth, Tatie Les Piles recommande :

Les fausses mesures, 1937 (un court roman qui m’a fait découvrir Roth : une merveille)

Le poids de la grâce, 1930 (un autre court roman aussi beau que son titre)

La Marche de Radetzky, 1932 (son roman le plus connu – pas mon préféré, mais à relire à l’occasion)

La Toile d’araignée (un roman glaçant sur la montée du nazisme, écrit en… 1923. Clairvoyant, vous avez dit clairvoyant ?)

Et en plus, les traductions que j’ai eues entre les mains (celle Paule Hofer-Bury pour Le poids de la grâce et de Françoise Bresson pour Hôtel Savoy) m’ont fait très bonne impression ! Alors, plus d’excuses…

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