Clichés, mot du jour (8) et digressions diverses zé variées sur la traduction des clones de neige
Pour démarrer ce billet qui s’annonce un peu bordélique, il me faut rendre à Babeliane ce qui est à Babeliane : elle évoquait récemment un intéressant article de Rue89 où l’on apprenait l’existence d’un petit robot au doux nom de alertecliche. Ce dernier détecte « les expressions toutes faites et autres facilités de langage » dans les articles de presse relayés sur Google Actualités.
La liste des clichés épinglés n’est de loin pas exhaustive, mais elle constitue un bon échantillon : « la cerise sur le gâteau », « le vent en poupe », « grincer des dents », « la cour des grands », « un pavé dans la mare », « revoir sa copie », « attendu au tournant », « les quatre coins de l’Hexagone » (intéressant, au passage, géométriquement parlant !), « à qui profite le crime », etc.
J’aime bien le principe. Et je voudrais le même bidule pour mes traductions, s’il vous plaît.
Parce que c’est important, en traduction, les clichés. Y a des jours, on en caserait partout, si on s’écoutait (et visiblement, parfois, on s’écoute). Et si, comme l’expliquait Michel Tournier dans le texte que je citais pas plus tard qu’il y a quelque temps, le traducteur doit maîtriser un bon « catalogue de gallicismes », il faut bien avouer que du gallicisme au cliché, il n’y a souvent qu’un pas que l’on peut franchir assez allègrement – consciemment ou inconsciemment, d’ailleurs.
Examinons l’ampleur des dégâts. Si je prends la trad que j’ai rendue la semaine dernière et que j’ai encore sous la main, j’identifie assez aisément trois expressions qui pourraient figurer dans le palmarès d’alertecliche : « découvrir le pot aux roses », « faire les 400 coups » et « un pavé dans la mare ». Ce sont indéniablement des « facilités de langage », d’autant que le texte original, en allemand, ne faisait pas nécessairement appel à des expressions imagées. Maintenant que je suis amenée à me poser la question, je crois que je les utilise simplement pour mettre un peu d’animation (si si) dans mon texte – et à vrai dire, je me fiche un peu que ces expressions soient considérées comme des clichés. Elles me semblent parlantes et paradoxalement moins plates qu’une traduction sans cliché : si j’écris « avec mon frère, on faisait les 400 coups », je trouve ça plus vivant que « avec mon frère, on faisait beaucoup de bêtises », et en plus, ça me permet de varier les formulations (parce que le gars qui parle radote un peu). Tant que ces formules ne sont pas trop nombreuses (trois, en l’occurrence, pour une traduction d’un peu plus de 5 000 mots), je juge que ce n’est pas dramatique.
Voilà pour les bons gros clichés – à consommer avec modération, donc.
Mais entre-temps, j’ai appris l’existence d’un autre type de cliché – ou plutôt, j’ai découvert qu’il avait un nom, et c’est mon nouveau mot du jour (qui est aussi un néologisme, d’ailleurs, ce qui lui confère un double caractère de nouveauté absolument époustouflant, je crois qu’on peut le dire) :
snowclone
Contexte : je cherchais un truc sur Google, mais j’ai oublié quoi, honnêtement. Toujours est-il que je suis tombée sur la page Wikipedia correspondant à ce terme.
Ce n’est pas : un flocon de neige conçu en éprouvette.
C’est :
Selon Wikipedia, donc :
A snowclone is a type of cliché and phrasal template originally defined as « a multi-use, customizable, instantly recognizable, time-worn, quoted or misquoted phrase or sentence that can be used in an entirely open array of different variants ».
An example of a snowclone is « grey is the new black », a version of the template « X is the new Y ». X and Y may be replaced with different words or phrases – for example, « comedy is the new rock ‘n’ roll ». Both the generic formula and the new phrases produced from it are called « snowclones ».
It emphasizes the use of a familiar (and often particular) formula and previous cultural knowledge of the reader to express information about an idea. The idea being discussed may be different in meaning from the original formula, but can be understood using the same trope as the original formulation.
Je suis curieuse de voir comment ils ont traduit et défini ça dans la version française : un clic, et zou :
Un snowclone (« clone de neige ») est une expression ou une phrase connue qui se fait très souvent parodier. Contrairement à d’autre formules toutes faites, les snowclones opèrent comme des expressions à trous (« ce qui ne me …, me rend plus fort »), et viennent souvent de la culture populaire. On retrouve ce type d’expressions notamment dans des titres d’articles de presse et de romans, et sur Internet. En anglais, on parle de « snowclone » , terme qui vient du fait que les Esquimaux utiliseraient de nombreux mots pour désigner la neige. Le terme n’a pas d’équivalent strict en français.
Exemples de snowclones en français
– Verbe à l’infinitif tue (depuis l’inscription sur les paquets de cigarettes « Fumer tue »)
– Untel est mort, vive Untel ! (de la phrase traditionnelle Le Roi est mort, vive le Roi !)
– Je suis adjectif mais je me soigne. (originellement le titre du film Je suis timide mais je me soigne)
– Dur, dur d’être un nom commun ! (Dur dur d’être bébé, chanson de Jordy)
– Ils sont fous, ces nationalité ! (de la phrase fétiche du personnage Obélix « Ils sont fous, ces Romains! » dans la série de bande dessinée Astérix le Gaulois)
– Nom sera adjectif ou ne sera pas. (« Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas », citation attribuée à André Malraux, ou encore (plus probablement) de la citation d’Adolphe Thiers « La République sera conservatrice ou ne sera pas »)
– Sois adjectif et tais-toi. (de « Soit belle et tais-toi »)(Slogan de mai 68)
– Le monde se partage en deux catégories : ceux qui verbe conjugué et ceux qui verbe conjugué différent (réplique du film Le Bon, la Brute et le Truand)
[Au passage, je me demande toujours combien d’internautes bondissent en parcourant les articles de Wikipedia – comme je l’ai fait en lisant « « Soit belle et tais-toi »)(Slogan de mai 68) » – mais n’ont pour autant pas le courage de rectifier cette information particulièrement improbable (ou même de corriger la faute d’orthographe).]
[Au passage aussi, c’est fou cette manie de vouloir trouver un nom à tout prix pour tout. On ne peut pas se contenter de dire « citation parodiée » ou « phrase détournée » ?]
Sur son blog « You don’t say« , John McIntyre écrit un peu plus sévèrement :
The snowclone is a stock phrase that can be repurposed with minor variations by lazy writers who imagine themselves to be clever: X is the new Y; have X, will travel; this is your brain on X.
(C’est moi qui souligne.)
On trouve même des sites, anglophones ou germanophones (et sans doute autrelangophones aussi mais je ne suis pas allée vérifier), qui répertorient tout plein de snowclones dans leurs langues respectives (certains sites s’amusent aussi à recenser les occurences de snowclones particuliers – comme celui-ci qui traque ce qu’il appelle les « stock phrases » et leurs variantes dans la culture populaire).
Et c’est assez instructif, faut dire. Parce que le bon traducteur censé connaître à fond les langues qu’il traduit se doit évidemment de repérer ce genre de choses – ou de repérer à tout le moins qu’une formule est un peu bizarre et renvoie peut-être à une citation connue. Il y en a qui sont faciles à identifier, parce qu’ils ont un équivalent tout aussi connu dans la langue cible : impossible de passer à côté d’un « to (verbe) or not to (verbe)« , par exemple. Et il est généralement assez facile de traduire par « (infinitif) ou ne pas (infinitif) » (un peu au pif, cet article repéré sur un blog au mois de juillet dernier : « Manger ou ne pas manger, telle est la question« ).
Ce qui marche pour Shakespeare marche aussi pour la Bible, les dialogues de Star Wars, un paquet de citations historiques et quelques autres trucs. Ainsi, une nouvelle consacrée aux chats que je retrouve sur pas mal de sites tenus par des amateurs de félidés miaulants s’ouvre sur la phrase : « Au commencement, Dieu créa le chat à son image. » Pour un traducteur ayant un tout petit minimum de culture générale, aucun problème pour transposer la chose dans sa langue maternelle. Idem pour cette pub entendue récemment à la radio : « Un petit prix pour la Polo, un grand pas pour l’automobile ». Ou encore pour le visuel de t-shirt ci-dessous (source), où le clin d’oeil est évident pour à peu près tout le monde (même pour moi qui n’ai aucune culture starwarsienne) et pourrait être décliné dans d’autres langues (ce qui n’aurait aucun intérêt vu qu’on perdrait la paronymie qui lie « Corse » et « force », mais vous m’avez comprise) :
Mais que se passe-t-il dans les autres cas ? Par exemple, prenons la première phrase de ce billet – un superbe snowclone que si ça se trouve tu as lu avant de savoir que c’en était un, lecteur bluffé de ce blog. Bien sûr, l’original est une citation biblique (Matthieu, 22-21). Bien sûr, il existe un équivalent en anglais de cette citation (« Render unto Caesar the things that are Caesar’s and unto God the things that are God’s » ou, autre variante, « Give to Caesar the things which are Caesar’s, and to God the things which are God’s »). Mais une petite recherche à trous sur Google me donne l’impression que l’expression est beaucoup moins triturée sur le web anglophone qu’elle ne l’est en français. On trouve bien un ou deux articles intitulés « Render unto Darwin that which is Darwin’s » ou « Render unto Gary Webb the Things which are Gary Webb’s« , mais il faut un peu creuser. Tandis que sur le web francophone, la première page de recherche Google fait déjà apparaître de nombreuses variantes (« rendre à hatchoum ce qui est à hatchoum », « rendre à Sartre ce qui est à Sartre », « rendre à J2M ce qui est à J2M », « rendre à Ortiz ce qui est à Ortiz » et « rendre à Ben-Hur ce qui est à Ben-Hur », en plus de la formule d’origine) et renvoie à des sites de tout poil (article du Monde, forums, ouvrages reproduits sur GoogleBooks), ce qui montre que ce snowclone est bien lexicalisé. Là, déjà, une version anglaise du snowclone paraîtra peut-être moins familière au lecteur/spectateur que l’original en français.
Et puis il y a évidemment le cas des snowclones propres à une langue ou à une culture donnée. Je-ne-sais-plus-quand (mais c’était il n’y a pas longtemps et c’est pour ça que cet exemple me revient là maintenant), j’ai entendu dans un sketch des années 80 un humoriste quelconque parodier la petite phrase de Georges Marchais : « (Liliane), fais les valises, on rentre à Paris ! » (Liliane était remplacée par un autre prénom, j’ai oublié lequel). Par une coïncidence qui m’arrange bien, l’actuelle saga Woerth-Bettencourt donne lieu à d’autres variations sur ce thème – ici par exemple un titre de billet : « Liliane, fais les valises… avec l’argent dedans ! ». Ou dans un autre style, celle-ci, relevée dans les commentaires d’un article du monde.fr : « Florence, fais les valises, on rentre à Chantilly ».
OK, OK, ces formules-là précisément ont peu de chances d’être traduites un jour dans une autre langue. Mais sur le principe, que faire avec une phrase de ce genre ? Dans la mesure où elle n’a de sens que dans un pays donné et en référence à un événement qui n’a pas forcément franchi les frontières, quel est l’intérêt pour le spectateur ou le lecteur d’un autre pays qui visionne ou lit une traduction dans sa propre langue ? Ouais, mais en même temps, n’est-ce pas le rôle du traducteur, justement, de restituer au mieux les subtilités et références culturelles au sens large dans sa traduction ? Vaste question – mais je n’y répondrai pas, je te le dis tout de suite, lecteur terrassé par le suspense de ce blog. Je te laisse à tes réflexions – que tu es bien sûr invité à partager dans les commentaires si ça te chante, hein.
La conclusion mise en abyme de Tatie Les Piles :
If I had a dime for every snowclone I’ve used in my lifetime, I’d be a millionaire.
(Piqué ici.)