Kafka au téléphone
– Allô ?
– Allô, c’est bien la traduction, chez vous ?
– Voui-voui. Quoique je ne l’aurais pas formulé d’une façon aussi cavalière, chère madame.
– Je peux passer, là ? Vous me donnez le code ? J’avais fait traduire un papier chez vous, il me faut une copie.
– Passer, c’est-à-dire ? Chez moi, là tout de suite ?
(Regard circulaire paniqué sur mon bureau en bordel. Pensée affolée pour le salon où je dois aspirer depuis une semaine.)
– Oui oui, vous me donnez le code. J’ai besoin d’une copie de mon acte de mariage traduit.
– Ah vous me rassurez, ce n’est pas chez moi que vous avez fait traduire ça, madame.
– Mais si, mais si !
– Mais non, je vous assure. Je ne suis pas assermentée, je ne traduis pas ce genre de documents. D’ailleurs je ne travaille quasiment jamais pour des particuliers.
– Comment vous faites, alors ?
– Ben je ne travaille qu’avec des entreprises et je t’en pose, des questions ?
– Mais c’était vous, je suis sûre !
– Je vous assure que non !
– Passez-moi quelqu’un d’autre, alors !
– Mais je suis toute seule, madame !
– Pourtant, c’était rue X., je m’en souviens. J’ai cherché dans l’annuaire, c’est votre rue.
– Peut-être, mais je vous assure que ce n’était pas moi.
– Si si, c’était une dame, comme vous.
– D’accord, mais ce n’était pas moi !
– Siiiiiii !
– Quand est-ce que vous avez fait traduire votre acte de mariage ? C’était en quelle langue ?
(Zut, j’entre dans son jeu, là.)
– En 2002. En arabe.
– Ah ben ça règle la question : en 2002, je n’habitais pas Paris, et j’étais encore étudiante. Et puis je ne parle pas l’arabe. Donc vous voyez bien que ça ne peut pas être moi.
– C’est une de vos collègues, alors. Vous n’avez pas l’air très au courant.
– Mais je vous répète que je travaille toute seule, je suis free-lance, quoi ! Ce n’est pas une agence de traduction, ici.
– Mais alors c’est qui ?
– C’est qui qui quoi ?
– C’est qui qui a traduit mon acte de mariage ?