So you want to be… (ou : quelques conseils à destination des auteurs débutant dans la traduction audiovisuelle)
(Suite du billet d’hier.)
Voici donc une compilation subjective de conseils aux jeunes diplômés qui envisagent de se lancer dans la traduction audiovisuelle malgré l’état bien déprimé du secteur. J’ai fait un petit brainstorming, opéré un retour en arrière de quelques années et tenté de répertorier les bobards les plus courants que j’ai entendus depuis que je travaille. Tout cela ne reflète que ma modeste expérience de 5 ans et des brouettes ; mais il s’agit dans tous les cas de situations auxquelles j’ai été confrontée ou dont j’ai entendu parler de source sûre.
N’hésitez pas à compléter dans les commentaires, par ailleurs. Les remarques, ajouts, réactions et rectifications sont les bienvenus.
I. Quelques vérités bonnes à rappeler
1) Le client n’est pas votre ami (malgré les apparences)
2) Vous n’êtes ni un fansubber, ni un fabricant de boulons
3) C’est vous, le spécialiste (ou en tout cas, ça devrait)
4) En traduction audiovisuelle, le nerf de la guerre est le même que partout ailleurs
II. Les dix phrases qui doivent vous faire fuir (ou à tout le moins vous amener à être méfiant)
5) « Contrat ? Bon de commande ? Pas besoin, on se fait confiance, non ? »
6) « Euh, au fait, le tarif a baissé, maintenant c’est tant. »
9) « Pour les droits d’auteur, on fait 50-50. »
10) « On est un festival. On ne peut pas payer les sous-titreurs. »
I. Quelques vérités bonnes à rappeler
1) Le client n’est pas votre ami (malgré les apparences)
L’audiovisuel, c’est bien connu, c’est une grande famille. Dans les sociétés de postproduction, tout le monde aura tendance à vous tutoyer. Du coup, après quelques hésitations, vous vous déciderez à faire pareil et ça ne choquera personne. D’ailleurs, vous verrez, il y a plein de djeunz, dans les boîtes de postproduction. Et en plus de ça, votre client/-e vous racontera certainement sa vie : vous saurez tout de ses vacances à Majorque, de sa rupture douloureuse, de sa grossesse idyllique, de son remariage et de son chien qu’il a fallu piquer parce qu’il avait mordu la voisine.
Certes, on peut nouer des liens avec ses clients. Certes, il y en a qui ont l’air vraiment sympa. Mais méfiez-vous : cette complicité de façade sera dans 99% des cas à l’avantage de votre client. Moins il y aura de distance entre vous deux, et plus il sera à l’aise pour vous appeler à toute heure du jour et de la nuit, vous demander de le dépanner en cas de problème insoluble et vous proposer des plans pourris. Moins il y aura de distance entre vous deux, et plus vous aurez du mal à lui dire non.
Sachez par ailleurs que la plupart des chargés de postproduction trop chouettes qui vous tutoient, vous racontent leur vie et vous proposent d’aller manger avec eux au café du coin à midi n’hésiteront pas une seconde à vous jeter comme une lingette Demak’Up usagée si vous réclamez une augmentation, si vous râlez sur vos délais de paiement, si vous refusez une baisse de tarif, et, d’une manière générale, si vous ouvrez votre gueule plus que de raison.
2) Vous n’êtes ni un fansubber, ni un fabricant de boulons
Ce n’est pas parce qu’on est auteur et qu’on travaille dans l’audiovisuel où tout le monde est en jean-baskets 355 jours dans l’année (Cannes, ça dure bien 10 jours ?), qu’on ne doit pas prendre son métier au sérieux. Ce n’est pas parce qu’on est auteur et qu’on travaille dans l’audiovisuel qu’on fait des traductions pour le fun. Malgré le manque de considération croissant dont souffre la traduction audiovisuelle, n’oubliez pas que vous êtes maintenant un professionnel, avec des obligations et des responsabilités vis-à-vis de vous-même, de vos clients et de vos confrères et consoeurs. C’est une chose.
Par ailleurs, aux yeux des entreprises avec lesquelles vous allez travailler, vous serez un prestataire de services comme un autre, une ligne dans la rubrique « fournisseurs » du logiciel de compta – sur le même plan que le fournisseur de pièces de rechange pour la régie, le service de coursiers ou l’entreprise papeterie-en-ligne point com.
Entre ces deux réalités, à vous de vous faire respecter et de faire valoir les particularités de votre métier – notamment le fait que deux auteurs ne sont (normalement) pas interchangeables et que la traduction est l’affaire de professionnels, une activité qui requiert du temps et de bonnes conditions de travail pour que la qualité soit au rendez-vous (la qualité étant censée être l’objectif que souhaite atteindre votre client – du moins, en théorie, et surtout en présence de ses propres clients).
3) C’est vous, le spécialiste (ou en tout cas, ça devrait)
Pour avoir l’air un minimum crédible, la règle est d’éviter de dire oui à tout sans avoir posé au préalable quelques questions qui montreront à votre client que vous connaissez votre métier.
Renseignez-vous sérieusement sur ce qu’on vous propose et n’ayez pas peur de creuser un peu. Quelle est la durée précise/le genre du programme à traduire ? S’il s’agit d’un vieux film, le son est-il bon ? Y a-t-il un script ? Si votre client ne mentionne pas le tarif qu’il est prêt à payer ou ne vous demande pas quel est votre tarif, prenez les devants et posez-lui la question – une fois le boulot accepté, il sera trop tard pour pleurer. Quel est le délai de paiement ? S’il s’agit de sous-titrage ou de doublage, le tarif inclut-il le repérage/la détection ? Sinon, ces travaux sont-ils rémunérés à part ? En salaire ?
Tous ces éléments sont importants. Votre client le sait, mais il ne prendra pas forcément la peine de vous renseigner spontanément – en particulier s’il y a un « léger » problème à la clé qu’il préférerait que vous découvriez vous-même un peu plus tard (script incomplet, vidéo de mauvaise qualité, tarif plus bas que d’habitude, etc.). A vous de l’amener à mettre les choses à plat, afin de pouvoir prendre une décision éclairée.
4) En traduction audiovisuelle, le nerf de la guerre est le même que partout ailleurs
Maintenant qu’il est acquis que vous êtes un professionnel qui sait de quoi il parle, il est temps de parler soussous. Votre (premier) client vous propose un tarif, comment savoir si vous pouvez l’accepter ?
– activez votre fonction « bon sens » (le petit bouton, là) : une grande multinationale du sous-titrage vous propose un tarif qui vous semble un peu suspect ? Un rapide calcul vous montrera qu’à ce prix-là, vous paierez tout juste l’électricité qui fait fonctionner votre ordinateur, même en bossant jour et nuit (autant dire que vous pouvez oublier les Louboutin). Fuyez. Vous pouvez en option envoyer un mail d’insultes indigné. Ça fait toujours du bien.
– activez votre fonction « amour-propre » (l’autre, juste à côté) : une grande multinationale du sous-titrage vous propose un tarif qui vous semble un peu suspect ? Un rapide calcul vous montrera qu’à ce prix-là, vous serez très, très loin du Smic horaire. Alors que vous faites un métier dans lequel la grande majorité des professionnels (dont vous, probablement) ont un niveau Bac +5. Fuite, mail indigné, etc.
– activez votre fonction « instinct de survie » (là, oui, c’est ça) : vous vous lancez dans la traduction audiovisuelle ? A priori, vous comptez faire ce boulot plusieurs années ? En vivre ? Soyez sympa, réfléchissez et ne sciez pas la branche sur laquelle vous êtes assis avec nous tous. Plus les traducteurs accepteront des conditions de travail inacceptables, plus celles-ci deviendront la norme. Après tout, pourquoi les sociétés de postproduction auraient-elles une quelconque considération pour les auteurs, si ceux-ci ne se respectent pas eux-mêmes ?
– renseignez-vous : blague à part, c’est le premier réflexe à avoir. Consultez le site du Snac pour avoir une idée des tarifs syndicaux. Demandez à des confrères si le tarif proposé est dans la moyenne du marché, s’il leur paraît acceptable. Ou contactez l’Ataa, quelqu’un vous répondra. Sans la moindre information, il est difficile de se positionner raisonnablement.
II. Les dix phrases qui doivent vous faire fuir (ou à tout le moins vous amener à être méfiant)
Parmi les boîtes de postproduction qui commandent des traductions, il y a un peu de tout. Entre les gens tout à fait réglos, à un bout, et les requins, à l’autre extrémité, on trouve à peu près toute la palette du genre humain. Voici un petit top-ten des phrases qui doivent vous alerter quant à la bonne foi et l’honnêteté de votre client. Notez que dans tous les cas, il est surtout question de flouze et autres pépettes – car malheureusement, c’est toujours LA question qui fâche dans les relations entre auteurs de traductions audiovisuelles et laboratoires de postproduction. Si cet aspect-là se passait bien (ou même mieux, simplement), on perdrait beaucoup moins de temps et d’énergie, il faut l’avouer…
Qui oserait sortir une énormité pareille à un plombier, un avocat ou un boucher ? (« M. Sanzot, j’ai un budget gigot de 2 euros aujourd’hui. Mais la prochaine fois que j’ai besoin d’une escalope, promis, on passe à 14 euros le kilo. »)
Personne, évidemment. Cette façon de procéder est ridicule et vraisemblablement, la personne qui vous dit ça ne vous rappellera pas – ou alors pour vous proposer de bosser au même tarif que la première fois.
C’est l’excuse la plus lamentable, la plus usée et malheureusement la plus fréquente en traduction audiovisuelle. Elle est souvent invoquée, par ailleurs, pour faire passer une baisse de tarif.
Gober cette énormité, c’est
– rentrer dans la logique de votre client : lui, il gère une entreprise, son but est de fournir des prestations à un tarif défiant toute concurrence et au moindre coût pour lui.
– oublier votre propre logique et donc vos intérêts : vous, vous êtes auteur. Que vous ayez deux ou dix documentaires à traduire, il vous faut toujours autant de temps pour en traduire un. Vous n’êtes pas un producteur de boulons, répétons-le, vous ne bénéficiez pas de ce qu’on appelle si joliment des « économies d’échelle« .
– être obligé de travailler vite et bien. Ce qui à terme, la fatigue aidant, se transformera en « être obligé de travailler vite et mal » et vous fera vraisemblablement prendre de mauvaises habitudes.
– mettre le petit doigt dans un engrenage baissier, car du point de vue de votre client, si un traducteur accepte une première baisse, il n’y a pas de raison qu’il n’en accepte pas une deuxième, une troisième, etc.
– consacrer davantage de temps à ce client s’il vous propose de compenser une baisse de tarif par une hausse de volume, ce qui vous rendra encore plus dépendant d’une entreprise qui vous paie mal et ne respecte pas votre travail.
Par ailleurs (mais faut-il le préciser ?), l’expérience montre que derrière cette promesse mirobolante (« une saison complète », mazette !), il n’y a souvent que du vent.
C’est peut-être vrai. Mais vous pouvez être sûr que votre client va tout mettre en oeuvre pour que ce test soit réussi : il paiera évidemment ses salariés, l’électricité qui fait fonctionner son matériel et les fournitures dont il aura besoin ; sans oublier les comédiens qui viendront enregistrer le texte que vous aurez écrit, s’il s’agit d’un documentaire ou d’un doublage de fiction.
Donc il a un budget. Ou en tout cas, il est tout à fait capable d’en débloquer un quand il n’a pas le choix.
Pourquoi le traducteur serait-il le seul à ne pas être rémunéré à sa juste valeur ? Parce qu’il est le seul à ne pas avoir un contrat de travail ? Parce qu’il est une variable d’ajustement commode ?
Super. Si vos confrères travaillent pour des clopinettes, c’est leur problème. Soyez ferme, justifiez votre prix, référez-vous aux tarifs syndicaux ou aux pratiques habituelles. Toute relation économique implique une part de négociation, c’est tout à fait normal. Mais le but est de trouver un terrain d’entente, un équilibre gagnant-gagnant. Si votre prospect ne bouge pas d’un pouce, laissez tomber et dites-vous que ce n’est pas une grosse perte.
5) « Contrat ? Bon de commande ? Pas besoin, on se fait confiance, non ? »
En traduction audiovisuelle, théoriquement, on devrait toujours travailler avec un contrat. En pratique, ce n’est pas toujours le cas – et quand il y a un contrat, il arrive souvent un mois après la date de rendu de la traduction. Là, évidemment, signer un contrat servant à garantir les conditions d’un travail une fois que ce travail est terminé, ça ne sert plus à grand-chose. Bref, c’est un peu la pagaille.
Mais rien ne vous empêche, vous, d’envoyer un « accusé de réception de commande d’adaptation » (ARCA) à votre client. C’est un document tout simple à établir, qui récapitule les conditions de votre collaboration avec votre client : délai de remise de la traduction, tarif, délai de paiement, etc. Il suffit de l’envoyer dans le corps d’un courriel à votre interlocuteur et de lui demander de vous le renvoyer, ce qui vaut de sa part acceptation des conditions (un modèle ici ).
Votre client sera peut-être surpris de recevoir un ARCA. Ça, ce n’est pas grave. En revanche, s’il rechigne à vous le renvoyer, dites-vous que ça sent le roussi. Si vraiment « on se fait confiance », ça ne doit pas lui poser problème de vous confirmer par écrit ses engagements.
6) « Euh, au fait, le tarif a baissé, maintenant c’est tant. »
Cette petite phrase, vous aurez peut-être la joie de l’entendre soit pendant que vous travaillerez, soit une fois que vous aurez rendu votre traduction.
Si vous avez un contrat ou un ARCA (voir point précédent), c’est cool, ça veut dire que vous disposez d’une trace écrite du tarif initial et que vous réussirez vraisemblablement à vous faire payer au bon tarif en insistant un peu.
En dernier recours et en l’absence de contrat/d’ARCA, si vous n’avez pas encore rendu votre traduction, vous pouvez toujours garder votre fichier traduit en otage jusqu’à ce que le client accepte (avec trace écrite à la clé) de revenir au tarif qu’il vous avait promis à l’origine. Autre possibilité, testée par d’aucuns : si votre tarif baisse de 10% en cours de commande, laissez vides les 100 derniers sous-titres de votre traduction (ou arrêtez-vous 5 minutes avant la fin, par exemple, si vous traduisez un programme de 50 minutes). Œil pour œil, dent pour dent. Ce n’est certes pas très constructif, mais c’est révélateur du niveau de maturité des relations entre traducteurs et sociétés de postproduction, dans certains cas.
Si vous avez rendu votre traduction et que vous n’avez ni contrat, ni ARCA, vous êtes mal barré. Vous pouvez toujours tenter de faire un esclandre un jour où le client de votre client est présent dans ses locaux. Ou faire le siège de son bureau (méthode également testée par d’aucuns : arriver un vendredi avec un sac à dos et des provisions, histoire de montrer qu’on restera sur place tout le week-end au besoin). Bonne chance.
C’est peut-être vrai. Mais en quoi cela vous regarde-t-il ? Si votre client ne sait pas gérer sa trésorerie, c’est son problème et il n’y a pas de raison que cela devienne le vôtre. Quand on commande une prestation, on s’assure au préalable qu’on a de quoi payer le prestataire.
Par ailleurs, depuis le 1er janvier 2009, les délais de règlement légaux ont été réduits à 60 jours maxi pour les prestataires de services. Un client qui vous paierait à 6 mois serait donc en infraction.
Bien sûr. Et pourquoi pas le ménage et les vitres en prime, pendant qu’on y est ?
« Le client n’a pas de sous », mais vous pouvez être sûr que votre client, lui, sera payé.
« Ça n’a pas besoin d’être de la super qualité », mais votre nom apparaîtra à la fin du film, c’est donc votre réputation que vous engagez.
Là encore, veillez à ne pas provoquer ce genre de situations en faisant un peu trop copain-copain avec votre client ; et c’est à vous de lui faire comprendre que la notion de qualité est au cœur de votre métier.
9) « Pour les droits d’auteur, on fait 50-50. »
Après avoir traduit une fiction ou un documentaire, il est d’usage de déclarer votre traduction auprès d’une société d’auteurs (Scam ou Sacem). Pour cela, il vous faut une attestation de traduction signée par l’entreprise qui vous a confié la traduction de l’oeuvre audiovisuelle. Or certains clients indélicats ont la fâcheuse habitude d’inscrire leur propre nom à côté du vôtre sur les attestations, comme s’ils avaient cosigné la traduction avec vous. Cela leur permet de toucher 50% des droits d’auteur que vous versent les sociétés d’auteurs lors de la diffusion ou de l’exploitation de votre traduction. Super combine, hein ?
Bien sûr, la manœuvre s’accompagne généralement d’un chantage – « soit je codéclare tes traductions, soit je ne te donne plus de boulot ».
C’est évidemment parfaitement illégal. Là encore, fuyez. Et n’hésitez pas à contacter le Snac pour signaler cette pratique.
10) « On est un festival. On ne peut pas payer les sous-titreurs. »
On pourrait écrire un poème entier sur les joies de la traduction pour les festivals. Sans vouloir accabler les petites structures associatives qui s’efforcent de diffuser des films rares ou des courts-métrages exotiques, rappelons deux-trois choses :
– il y a généralement des salariés dans les structures organisant les festivals. Donc de quoi payer leurs salaires.
– les festivals ont par ailleurs des fournisseurs qu’ils rémunèrent (graphistes, imprimeurs, etc.) ; pourquoi les traducteurs feraient-ils exception à la règle ?
– les festivals sollicitent des subventions ; mais pensent-ils seulement à faire figurer le poste « adaptation » dans leur budget ? Trop souvent, le sous-titrage des films est le truc annexe auquel on pense à deux jours du début des projections. Pas étonnant qu’il se fasse alors dans des conditions déplorables.
Vigilance, bon sens et fermeté : tels sont les sages principes de Maître Jigoro Kano qui doivent guider vos premiers pas hésitants dans la traduction audiovisuelle. Ne vous laissez pas marcher sur les pieds sous prétexte que vous êtes djeunz et encore peu expérimenté. Et n’acceptez pas n’importe quoi, c’est le meilleur moyen de vous enfermer pour longtemps dans des relations de travail frustrantes, sans espoir d’une évolution dans le bon sens.
Mais rassurez-vous, hein, rares sont les clients qui cumulent plus de la moitié des tares susmentionnées.
Et puis un de ces jours, je ferai un billet sur les bons côtés de ce métier, parce que ça commence à devenir bien déprimant, tout ça.
Bon courage.