Relevé : le défi (une brève)
(Oui, jeu de mots pourri. Mais il fait chaud. Voilà.)
Soit quelques secondes de vidéo non retranscrites dans le relevé des dialogues du documentaire de 90 minutes que je traduis ces jours-ci. Quelques secondes très loin de tout passage de narration (et ne pouvant donc pas être « couvertes » en trichant un peu), où un pêcheur de l’Alabama dit quelque chose (mais quoi ?) à la personne qui se trouve derrière la caméra avant de s’avancer pour répondre à ses questions. Quelques secondes qu’il faut traduire, parce que sans cela le spectateur se demandera ce qui se passe. La phrase est bien audible, en fait, et introduit une interview face caméra, ce n’est pas une « ambiance » qu’on pourrait laisser sans traduction. Problème, donc : je ne comprends pas. Mais vraiment pas du tout. Quelques mots émergent bien de cette bouillie sonore, manque de bol ce ne sont pas toujours les mêmes d’une écoute sur l’autre.
Après m’être usé les oreilles une bonne trentaine de minutes en vain (sur deux ordinateurs différents, avec casque et sans casque, etc.), je fais appel au public à mes contacts Facebook. En quelques heures, on me propose une panoplie de solutions, et par exemple :
« Far away we XXX slay??, don’t worry about ship, yo, I know what i’m sayin »
« Tomorrow’s the fisherman’s last, don’t wanna be shipyard. That’s all I have to say. »
« Tomorrow’s the fishermen’s last done when we ship y’all. That all I gotta say. »
« Barge with fish that splash don’t wanna be??? »
« As far as the fish we slashed, don’t want to be shipped (yo). That’s all I can say. »
« Tomorrow’s the fisherman’s last, don’t wanna be here with y’all. That’s all I have to say. »
Plus quelques bribes incertaines (et des remarques pas toujours jolies-jolies sur l’accent des gens de l’Alabama, hein, dites donc). D’incroyables débats (oui, j’exagère un peu) s’engagent : entend-on « ship », « shipyard » ? « Yo », « y’all » ? « Splash », « flash » ? « Wish », « fish » ? Peut-être « off side » vers la fin ?
Bon. Comme disait Copine R. l’autre jour, c’est bien de savoir que Facebook peut servir à quelque chose (le doute était permis) et je remercie encore chaleureusement les gentils confrères et leurs amis de langue maternelle anglaise qui ont écouté et réécouté ces quelques mots pour les besoins de ma traduction.
Mais tout de même.
C’est précisément à ça que devrait servir le relevé de dialogues en traduction audiovisuelle, boudiou : à décrypter les passages sur lesquels même un locuteur natif se casse les dents. Parce que les trucs que tout le monde comprend, figurez-vous que moi aussi, je les comprends. Haha. Le but est normalement d’éviter au traducteur d’y passer une demi-heure. Puis de solliciter ses contacts Facebook (ou tout autre forum ou réseau social sur lequel il est inscrit). Lesquels solliciteront à leur tour leurs contacts Facebook. En somme, le but est d’éviter de mobiliser quinze ou vingt personnes autour d’une pauvre phrase qui n’a en réalité aucune incidence sur le reste du programme et prendrait dix secondes à restituer en français si elle figurait dans la transcription.
Voilà. Merci d’y penser, la prochaine fois, hein, cher client ou chère boîte de production. Mais surtout cher réalisateur, parce que quand même, il faudra m’expliquer quel est l’intérêt de conserver au montage une phrase prononcée clairement à l’intention de la caméra, mais dont pas grand-monde, de toute évidence, ne comprend le sens. Ou alors tu es machiavélique, cher réalisateur, sache-le.