Les Piles intermédiaires

Le quotidien bordélique d'une traductrice à l'assaut des idées reçues. (Et des portes ouvertes, aussi, parfois.)

Sous-titrons nos chansons (ou pas), épisode 1
Des conditions matérielles de la réalisation du sous-titrage

Récemment sur Touïteur, Jean-Noël Lafargue (se) posait une question :

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, c’est une question qui mérite davantage qu’une réponse en 140 signes (du coup, pouf comme ça, j’ai décidé d’y répondre en une série de cinq ou six billets de blog, zavez vu ?). Pourquoi ? Parce que des éléments nombreux et de nature variable entrent en ligne de compte dans la décision de sous-titrer ou non les chansons d’un film ou d’une série. Je vais tenter de sérier un peu les problèmes, comme disait mon cher professeur de philosophie M. R. en son temps, et de les présenter ici, tant pis si c’est un peu long (zêtes prévenus).

La formulation de la question de Jean-Noël Lafargue est intéressante : postuler que les sous-titreurs « s’estiment dispensés » de traduire les chansons, c’est partir du principe que la décision leur appartient toujours, d’une part, et sous-entendre peut-être qu’ils sont un peu feignants sur les bords, d’autre part (on est généralement « dispensé » d’une corvée – non, je ne ferai pas plus avant l’exégèse de ce touïte, restons-en là).

Commençons donc par ces deux éléments pour resituer le rôle de l’auteur des sous-titres dans ce choix : incroyable mais vrai, il arrive que la décision n’appartienne pas au traducteur. Il me semble que les deux cas de figure les plus fréquents, en l’occurrence, sont les suivants :

1) Le client du sous-titreur (labo, distributeur, éditeur DVD, etc.) lui demande expressément de ne pas sous-titrer les chansons : le traducteur peut juger que c’est une mauvaise idée et tenter d’en convaincre son donneur d’ordre, mais si ce dernier est persuadé que c’est mieux comme ça pour des raisons qui lui appartiennent, il aura vraisemblablement le dernier mot.

2) Le sous-titreur ne se charge pas lui-même du repérage de ses sous-titres (la partie technique consistant à déterminer le point d’apparition et le point de disparition de chaque sous-titre dans un logiciel) et travaille à partir d’un repérage qu’on lui a fourni, voire, pire, d’une « liste-type de repérage » immuable et rigide, un cas fréquent dans le sous-titrage de DVD (voir cet article à ce sujet). Dès lors, le traducteur n’a aucune marge de manœuvre pour choisir ce qui sera sous-titré et ce qui ne le sera pas. Si le client ou le repéreur a décidé à sa place en amont que les chansons ne seraient pas sous-titrées, eh bien les chansons ne seront pas sous-titrées.

Voilà pour le choix du client ou du prestataire qui sous-traite le sous-titrage au traducteur. Maintenant, passons à l’examen du traducteur lui-même, cette feignasse.

1) Très prosaïquement : s’il est rémunéré au sous-titre, mode de rémunération traditionnel du sous-titrage et mode de rémunération le plus juste car il reflète au mieux le travail fourni, le sous-titreur n’a objectivement aucune raison financière de ne pas sous-titrer les chansons dans le film qu’il traduit. Sous-titrer plus de passages, c’est facturer plus au final. Il faut donc s’interroger sur les autres raisons qui pourraient éventuellement le pousser à choisir de ne pas sous-titrer une chanson (ce que je ferai dans les épisodes suivants, lecteur impatient de ce blog).

2) Très prosaïquement toujours : le traducteur est parfois, souvent, de plus en plus fréquemment même, rémunéré au forfait. C’est un mode de rémunération injuste, parce qu’il attribue une rémunération fixe à la minute de film ou à un film entier. Or – on cite toujours le même exemple, mais il est parlant – entre un film de guerre aux héros taiseux et aux scènes d’action multiples et un Woody Allen hyper-bavard aux dialogues ciselés, le nombre de sous-titres peut très littéralement être multiplié par deux pour une durée équivalente à sous-titrer. Un traducteur mal payé au forfait n’a donc objectivement aucun intérêt financier à sous-titrer les chansons de son film si on ne le lui demande pas expressément : c’est plus de boulot (et du boulot pas évident, on le verra) sans surcroît de rémunération.

Ramener le choix du traducteur à une histoire de gros sous est cependant bien sûr réducteur (les sous sont rarement gros, qui plus est) et bien que je traduise rarement de la fiction « au forfait », je n’imagine pas, personnellement, faire ce calcul pour décider ou non de traduire une ou plusieurs chansons. L’auteur de sous-titres qui fait bien son boulot s’interroge – normalement – sur la nécessité et l’opportunité de traduire les chansons présentes dans la fiction qu’il adapte. Et là, d’autres questions se posent.

Suite au prochain épisode… (le cas particulier des films musicaux)(ah ben oui)

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