ImpÉcr #14
The Browning Version (1/2)
Mathieu, Ignare Brute (c’est lui kildi), vieille connaissance et taulier, entre autres, du blog Line Them Up, m’a aimablement signalé The Browning Version (Anthony Asquith, 1951) pour mes ImpÉcr lorsqu’il a publié un billet à son sujet. Comme ce film figurait depuis un moment dans ma pile « à regarder c’est sûr, mais sans urgence particulière » (oui, j’ai une pile « à regarder c’est sûr, mais sans urgence particulière », quelque part entre la pile « à regarder absolument là maintenant tout de suite ou en tout cas dès que possible », la pile « à regarder parce que ça a l’air quand même vachement bien mais pour une raison obscure je ne suis pas enthousiaste a priori », la pile « à regarder pour faire bien dans les salons mondains mais ça ne me tente pas du tout » et la pile « mouais pourquoi pas en cas d’échouage sur une île déserte »), il m’a semblé que c’était l’occasion ou jamais de le visionner. Je dois du coup un double merci à Mathieu, car non seulement le film vaut le détour, mais en outre, il y est en effet abondamment question de traduction.
La « Browning Version » du titre original désigne elle-même une traduction (celle de l’Agamemnon d’Eschyle par le poète victorien Robert Browning) qui constitue le fil rouge de l’intrigue. Le film porte un titre différent en français (« L’Ombre d’un homme »), mais la pièce de Terence Rattigan dont il est inspiré semble connue sous le titre « La Version de Browning » en France (voir par ici les nombreuses adaptations télé/cinéma dont elle a fait l’objet). Et l’histoire de ce professeur de lettres classiques sur le point de prendre sa retraite (interprété par le toujours très bon Michael Redgrave) est parsemée de références à divers types de traductions (dont celle du titre, celle de Browning). De quoi nous occuper pour deux billets ImpEcr, je vous le dis. Zou !
Cette première série (chronologiquement dans le film, ça arrange mes affaires) a trait à la traduction scolaire, celle qu’on pratique au collège. À cet âge, en France en tout cas, on ne sait même pas qu’on fait de la traduction, puisqu’on fait de la version et du thème. Deux notions qui, bizarrement, disparaissent dès l’instant où l’on quitte l’univers scolaire ou universitaire : quand on est chez les grands, on « traduit vers ou (moins souvent) (normalement) depuis sa langue maternelle », on différencie langue source et langue cible, mais on ne fait plus de version ni de thème. Sans doute ces notions sont-elles jugées trop… « scolaires », justement, pour convenir à la traduction professionnelle, et l’exercice qu’elles désignent, trop littéral pour être qualifié de traduction. Le sous-titrage emploie le mot « thème », ici, à juste titre au vu du contexte (une classe de collégiens qui apprennent le grec ancien), même si l’anglais parle bien de « translation ». Et on notera au passage que l’exercice de thème est coton, vu l’âge des hellénistes en herbe…
Un peu plus loin dans le film, le professeur presque-à-la-retraite donne un cours particulier à l’un de ses élèves, Taplow, pendant lequel il se montre plutôt impitoyable envers l’apprenti traducteur. Ainsi, quand Taplow (qui traduit à vue) propose…
… le personnage de Michael Redgrave corrige sèchement :
Bon, bon, n’insistons pas.
Mais l’élève Taplow, on sent bien que ce n’est pas trop son truc, le mot-à-mot. Alors à un moment donné, il s’emballe, fait des fioritures tout à fait hors de propos, et se fait rappeler à l’ordre.
Pan, would-be-traducteur de mes deux, prends-toi ça dans la poire. Pour de la Traduction avec un grand T, vous repasserez.
Oui, vous repasserez au prochain ImpÉcr, par exemple. Où l’on découvrira que dans la suite du film, il est question d’autres traductions, moins scolaires et plus passionnées.
À suivre…