Esthétitre, ép. 1
Enfonçons quelques portes ouvertes
On a beau dire, il y a une esthétique du sous-titrage.
(J’aime bien commencer mes billets par une phrase qui laisse à penser que j’aborde un sujet de société hyper-polémique autour duquel les débats font rage depuis des mois de L’Express à Gala. Disons-le tout de suite : ce n’est pas le cas. Enfin, je ne crois pas.)
Une esthétique du sous-titrage, donc, et je vous préviens avec ménagement qu’il va falloir vous farcir a priori quatre billets sur la question, si si (mais chuis sympa d’annoncer la couleur, non ?).
Pour commencer par rappeler quelques principes de base, à quoi tient cette esthétique, si tant est qu’elle existe bien ? D’abord sans doute à la disposition du bouzin, bien sûr. En la matière, j’ai l’impression qu’on pourrait transposer sans problème au sous-titrage ces lignes de Souvenirs de la maison des mots, un ouvrage que j’ai évoqué récemment :
Je me souviens d’avoir eu un jour une sorte d’éblouissement à la vue d’une page où tout me semblait parfaitement en place (…).
Suit une description de ladite page et de chacune de ses composantes, ainsi que des règles qui régissent leur composition, corps et justification compris. Puis l’auteur conclut :
Quand ces règles sont respectées, on sent à la vue d’un tel ordre un grand calme vous envahir, une grande satisfaction s’emparer de vous, et même parfois une certaine extase vous gagner, fût-ce brièvement. Évidemment ces règles sont parfaitement ridicules, seuls quelques spécialistes sont à même de remarquer qu’elles n’ont pas été bafouées dans un texte et d’apprécier leur parfait respect. C’est la vertu de la contrainte, quoi qu’on en pense, de donner parfois naissance à certains plaisirs, qui plus est rares.
Précisons que le chapitre dont est extrait ce passage compare le correcteur à un général en chef passant ses troupes en revue, l’analogie est donc filée tout du long. En jetant un coup d’œil à mon plancher jonché de paperasses et de bouquins, je confirme qu’on ne peut vraiment pas me soupçonner d’être une adoratrice inconditionnelle de l’ordre. Mais oui, il y a tout de même quelque chose de l’ordre de la plénitude qui saisit le sous-titreur lorsqu’il a trouvé la solution de traduction qui colle parfaitement au format visuel du sous-titre : lignes équilibrées le cas échéant, unités de sens correctement réunies, phrase coupée au bon endroit, pas de succession de « petits mots » peu lisibles, pas de point au milieu d’un sous-titre, pas de dialogue mal fichu faisant se répondre artificiellement deux répliques… Bref, l’instant est émouvant, la forme et le fond se rejoignent dans une harmonie sans doute pas parfaite, puisqu’on sait que ça n’existe pas, mais satisfaisante de par son existence même. Cette forme visuellement très codée nous ramène au plaisir qu’il peut y avoir à traduire sous contrainte, dans une sorte de démarche OuLiPienne appliquée à la traduction.
Mais il n’y a sans doute pas que ça, pas que la disposition, l’agencement des mots dans le sous-titre. Il y a aussi la police – nan, on n’est plus dans la métaphore militaire, je parle de fonte, d’assortiment de caractères d’un type particulier – la couleur, le contour des lettres, leur intégration dans l’image et toute cette sorte de choses. Et sur ce point, le traducteur-adaptateur n’a pas un grand rôle à jouer, il n’a même pas de rôle à jouer du tout, à la vérité. Chaque diffuseur (chaîne de télévision, éditeur DVD, distributeur, etc.) fait ses choix en la matière, selon ses propres souhaits et selon ce que lui propose son prestataire technique.
Votre blogueuse dévouée se souvient d’un client tatillon – un certain D. – lorsqu’elle était salariée dans un labo de sous-titrage : D. voulait que la police du sous-titrage de « son » opérette soit comme ci, mais pas comme ça, légèrement moins claire mais pas trop sombre quand même, moins ronde, plus ceci, moins ça. Il était tard, tout le monde levait les yeux au ciel à chaque fois qu’il émettait une nouvelle exigence, le logiciel de sous-titrage par lequel se faisait l’incrustation des sous-titres ne comportait pas trente-six variantes de polices et ne permettait pas d’en installer de nouvelles, il fallait faire un choix dans ce qui existait, on n’allait pas rester là toute la nuit, mon p’tit monsieur. Pourtant, D. n’en démordait pas, il voulait sa police comme ci mais pas comme ça, il y tenait, il la voyait comme s’il y était. Et quelque part, je le comprenais, D., avec ses états d’âme. Il ne demandait rien d’extraordinaire, au demeurant, juste une personnalisation minime par rapport à la configuration de base, mais l’affaire s’est terminée sur un Arial blanc décevant au possible du point de vue de D., parce que décidément, la technique n’avait pas été prévue pour tenir compte des états d’âme esthétiques des clients.
Côté couleurs, on pourrait croire a priori qu’il est difficile de plaider éperdument pour le blanc, qui pose manifestement problème quand on sous-titre une importante scène dialoguée entre deux ours blancs essayant des robes de mariage sur la banquise (et aussi, accessoirement, une harangue prononcée sur un toit blanc dans Alexandre Nevski (cliquez pour voir le passage ou contentez-vous de la capture d’écran à gauche si ça ne vous tente point)). Mais à l’exception de la légère variante du jaune clair, difficile aussi d’envisager des couleurs extravagantes : du rose ou du kaki risqueraient de jurer sur la robe de Cyd Charisse et, d’une manière plus générale, de trop distraire le spectateur. Le blanc, c’est sans doute la moins mauvaise des solutions, la plus neutre et la plus passe-partout. Je mets de côté le cas des sous-titres destinés aux sourds et malentendants, qui suivent un code couleurs permettant aux intéressés de suivre le mieux possible l’intrigue (une couleur pour les personnages hors champ, une autre pour les chansons, etc.), car de toute façon le sous-titrage télétexte SM est « la mort esthétique du sous-titre » (dixit V., collègue clairvoyante) avec son fond noir tout moche, et est donc hors compétition ici.
La police, en sous-titrage, se doit d’être nette et lisible, de se découper harmonieusement sur l’écran, d’être juste de la bonne taille (pas trop petite pour que le spectateur ne passe pas son temps à plisser les yeux, pas trop volumineuse pour ne pas manger l’image) et d’une manière générale, de ne pas jurer dans le paysage, mais au contraire de se fondre le plus naturellement possible dans l’image. Il fut un temps où l’on incrustait les sous-titres par un procédé chimique dans la pellicule, peut-être est-ce cela qui accentuait leurs contours assez ronds et plaisants à regarder (ce n’est qu’une hypothèse) auxquels notre œil s’est habitué. On évitera bien sûr autant que faire se peut ces effets visuellement désastreux que l’on croise sur certains DVD : épais trait noir très vilain en guise de contour des lettres, effet « crénelé » comme si on avait oublié de lisser leur tracé, etc.
On évitera, hein, j’ai dit. Compris ? Car toutes ces petites choses apparemment insignifiantes qui heurtent l’œil (OK, mon œil en tout cas) vont à l’encontre de l’intégration harmonieuse du sous-titrage dans l’œuvre ainsi traduite. C’est un poncif de dire qu’un bon sous-titrage est un sous-titrage qui ne se remarque pas. Et pour cela, pour qu’un sous-titrage ne se remarque pas, il faut qu’il soit esthétique à tout point de vue et donc qu’il ne détonne en aucune façon. Il est donc toujours préférable que cette discrétion maximale des sous-titres que l’on requiert du traducteur trouve au moins un début de soutien dans l’affichage de ceux-ci. Le fait que certains diffuseurs ne prennent pas garde, par exemple, à la synchronisation des sous-titres avec les images sous-titrées (un grand classique des diffusions télévisées en VM, version multilingue) est assez insultant : le repérage précis des sous-titres fait lui aussi partie de l’harmonie générale que s’efforce de créer leur auteur (qu’il s’occupe ou non lui-même de cette tâche technique, qui prend du temps, du reste) et dès lors que leur défilement est décalé par rapport aux dialogues originaux, on se demande un peu à quoi cela sert de se donner du mal…
Ces évidences étant rappelées, suite au prochain numéro.
La VM sur CanalSat par Free : pas encore la mort esthétique du sous-titrage, mais pas loin.
Tout tiret ou trait d’union sera supprimé, qu’on se le dise.
Pis désolé, là on avait oublié de prévoir le ù dans les caractères autorisés.
Tant pis, hein, c’est pas si grave ?
D’autres fois, on fait sauter toutes les apostrophes pour le fun,
mais après tout, ça sert à rien, les apostrophes. Si ?