Les Piles intermédiaires

Le quotidien bordélique d'une traductrice à l'assaut des idées reçues. (Et des portes ouvertes, aussi, parfois.)

L’énigme du [mamaset]

J’ai appris un truc et je m’en étonne. Hem, je vois bien que cette phrase pourrait être mal interprétée, lecteur déjà outré de ce blog : non, je ne crois pas encore tout savoir, du tout du tout, mais parfois, il y a des choses dont je m’étonne (et je m’inquiète) de ne jamais avoir entendu parler. T’en fais pas si tout ça n’est pas limpide-limpide, je vais développer un peu (tu me connais).

J’ai donc appris l’existence du [mamaset] en écoutant parler David Bellos, samedi dernier, par là. Ce n’était qu’une remarque faite incidemment, un exemple qu’il citait parmi d’autres, alors que l’assemblée (car assemblée il y avait) débattait du caractère supposément intraduisible des accents régionaux.

J’ai donc noté phonétiquement [mamaset] sur mon petit bloc-note, en me disant qu’il faudrait que je me renseigne sur la chose à l’occasion.

Il m’a fallu un peu de temps pour retrouver la véritable orthographe du mot à partir de mon griffonnage. J’ai appris au passage beaucoup de choses sur les marmoset monkeys et sur la société Momosat spécialisée dans l’import-export de matériel électrique, mais à force de tâtonner, j’ai fini par tomber sur quelque chose qui semblait correspondre à ce que je cherchais : Mummerset, aaahhh, voilà. Le Mummerset, c’est un faux dialecte anglais utilisé par convention au théâtre (et plus largement, en littérature) pour figurer un accent rural. Comme il est fictif, c’est-à-dire qu’il ne se rapporte en réalité à aucune région précisément identifiable, son utilisation permet (dixit David Bellos) « de ne vexer personne ». Chez Wikipedia, on nous dit à peu près la même chose, avec quelques précisions :


Et c’est là que je m’étonne et m’inquiète de ma propre ignorance : sur la même page, on nous cite un passage de King Lear emblématique de cette utilisation du Mummerset chez Shakespeare. Or votre blogueuse dévouée plancha en son temps deux ans sur King Lear au lycée sous la houlette d’une exceptionnelle prof de littérature anglophone, Mrs B., elle-même anglaise jusqu’au bout des ongles et particulièrement au fait de son sujet, qui nous dispensait des cours d’un niveau plutôt costaud me semble-t-il avec le recul. Sur la page Wikipedia consacrée aux « West Country dialects », qui sont « commonly represented as ‘Mummerset' », on nous rappelle en outre l’omniprésence desdits dialectes dans Tess of the d’Urbervilles, roman que votre blogueuse dévouée (encore elle) étudia également pendant ces deux mêmes années en détail (sous la houlette, tout ça tout ça) et dont elle pouvait citer des paragraphes entiers par coeur il y a encore quelques années.

Bref, j’aurais bien vu Mrs B. nous parler du Mummerset. Je me serais bien vue tomber sur ce mot dans un bouquin consacré à l’une de ces deux oeuvres. Je me souviens de nombreux cours consacrés à la représentation de la ruralité chez Hardy et aux variations des niveaux de langues chez Shakespeare, sujets tarte à la crème s’il en est. Malgré cela, point de Mummerset dans mon souvenir. Certes, il n’est pas totalement exclu que j’aie oublié ce mot, puisque ces années commencent à être un peu lointaines. Mais d’une part, je me souviens très bien d’un nombre incalculable de choses que j’ai apprises à cette époque-là (années chouettes et enrichissantes pour une angliciste passionnée) et d’autre part, un dialecte inventé, il me semble que c’est bien le genre de détail qui aurait pu et dû marquer ma pôv mémoire.

Peu importe, je suis ravie d’apprendre a posteriori l’existence d’un truc que j’aurais adoré pouvoir caser dans une dissert ou un oral de littérature anglaise, et surtout de boucler une boucle de plus, mon dada à moi, puisque je peux le caser aujourd’hui dans un billet de blog, hé hé. Une info fort utile, en somme. Un peu à retardement, mais utile quand même.

Au demeurant, on ne trouve pas des masses de renseignements au sujet de ce faux dialecte sur les Zinternettes. Si l’on excepte quelques vidéos de démonstration insupportables et quelques mentions dans des textes liés au théâtre ou au cinéma, la moisson est maigre.

Reste un projet typographique imaginé par l’artiste Nia Gould qui habille visuellement les tonalités du Mummerset. Joli !

(Source)

Évidemment, là, je devrais vous annoncer la publication prochaine de deux billets consacrés à la façon dont les traducteurs successifs de Hardy et de Shakespeare ont su ou pas rendre le Mummerset dans la version française des deux oeuvres. Bon, je ne promets rien, hein. Mais je vais y penser.

Hit Enter