Assumez votre individualisme : jouez collectif
Parce que j’abandonne au moins pour quelque temps la traduction indépendante, bien cher lecteur ô combien compréhensif avec ta blogueuse dévouée de ce blog, je dois te dire qu’en ce moment, je suis un peu en mode : « C’EST L’HEURE DES BILANS » (les majuscules sont censées t’indiquer que je me rends bien compte à quel point cette formule est ridicule, mais que c’est la seule qui me vient à l’esprit) (quant au titre de ce billet, il est digne d’un manuel de développement personnel des années 90, mais ça, c’est voulu) (je dis juste, hein).
Et parce qu’en même temps que la traduction indépendante je quitte aussi le C.A. de la chouette assoce de traducteurs/adaptateurs de l’audiovisuel dans laquelle j’oeuvrais avec un certain bonheur (mais oui) depuis pas loin de six ans et que l’exercice 2011-2012 de ladite assoce touche à sa fin, j’ai eu envie de faire un point sur les raisons un peu égoïstes et peut-être même un peu honteuses, parfois, pour lesquelles ça peut être une bonne idée de s’investir dans la vie d’une association de traducteurs. Puisqu’il faut avouer que la solidarité et la défense du bifteck commun ne semblent pas motiver fabuleusement les foules, peut-être faut-il pour une fois explorer d’autres motivations. Par définition, elles ne sont donc pas profondément altruistes, hein, mais à mon sens, elles sont aussi importantes que les autres.
Bon, entendons-nous bien : mieux vaut croire un peu à la cause commune pour y trouver vraiment son compte. Mais si on hésite, si on n’est pas sûr d’avoir envie de donner du temps à ladite cause, on peut lire ce billet. Si si.
Parce qu’on se sent moins isolé face à l’adversité
Il y a des jours où le traducteur indépendant se sent un peu seul au monde. Par exemple quand un client décide unilatéralement et sans prévenir de baisser ses tarifs. Ou quand un client refuse de le payer pour X raisons. Ou quand un client s’attribue ses droits d’auteur. Les exemples ne manquent pas, malheureusement.
Face à quelqu’un qui vous dit : « C’est comme ça et pas autrement, d’ailleurs si tu refuses, d’autres accepteront », on peut se sentir démuni, on peut ne pas savoir comment défendre ses intérêts, on peut ignorer ses droits (je pense au cas n°3, celui des droits d’auteur), on peut être en plein doute et/ou être passablement déprimé. Mine de rien, quand au lieu d’être tout seul on est un peu en contact avec d’autres traducteurs, éventuellement plus expérimentés, qui ont peut-être déjà rencontré un problème comparable, c’est plus facile de tenir tête, de faire valoir ses droits et de ne pas se laisser marcher sur les pieds. Et quand on sait qu’on est plusieurs à dire « non » à une pratique inacceptable, on se sent aussi plus fort, moins désespéré.
Parce que ça fait du bien à l’amour-propre et au moral
Je ne parle pas du début de bonne conscience qu’on peut se donner en adhérant à une assoce – même si cela compte sans doute aussi – mais plutôt de la conséquence du point précédent : accepter de perdre des clients qui n’en valent pas la peine, se considérer comme un prestataire responsable et professionnel qui offre une valeur ajoutée, et non plus comme un quémandeur de boulot aux abois, défendre son métier et en être fier, ce n’est pas forcément une évidence pour tout le monde. Parfois, il est plus facile (et plus intéressant, plus enrichissant) de faire ce chemin à plusieurs, plutôt que tout seul dans son coin. Et quand on y parvient, il faut avouer que c’est assez dopant pour la suite.
Il y a une petite dizaine d’années, il y a eu une grève assez fondatrice pour l’action collective dans le sous-titrage (c’est par ici), malgré son échelle modeste. Je n’étais pas du tout dans le coup à l’époque puisque je finissais mes études, je n’en ai entendu parler que plus tard. Mais beaucoup des adaptateurs qui y ont participé (du moins parmi ceux que je connais) sont aujourd’hui des professionnels qui se font une haute idée de leur travail et que je respecte beaucoup. Je ne dis pas que les autres ne méritent pas le respect, cela va de soi, je ne dis évidemment pas non plus que la grève est un passage obligé dans l’évolution d’une carrière, mais j’ai toujours eu l’impression que le fait d’avoir su dire « non » relativement tôt dans leur parcours avait aidé certains de ces adaptateurs à faire leurs choix par la suite. (Ce n’est qu’une hypothèse et surtout que mon humble avis, vous l’aurez compris).
Parce qu’avec un peu de chance, il y a des gens sympas
Evidemment, c’est subjectif et aléatoire. On peut tomber sur une organisation syndicale (exemple pris complètement au pif) où tout le monde se tire dans les pattes. On peut avoir envie de s’investir dans le conseil d’administration d’une assoce et se rendre compte qu’on n’a pas des affinités fantastiques avec les confrères qui y siègent.
Mais « avec un peu de chance », donc, on peut aussi faire connaissance avec des gens sympas, des gens bien et des gens qu’on apprécie moins mais qu’on respecte quand même. Et en y mettant un peu du sien, on peut aussi arriver à travailler à peu près ensemble dans la même direction. C’est déjà bien, et non, ce n’est pas si secondaire que ça : si c’est un calvaire de se battre pour la cause commune pour des raisons d’incompatibilités personnelles, on perd assez vite le feu sacré, il faut l’avouer.
Parce qu’on se fait des contacts
C’est une évidence, à tel point qu’on oublierait presque de le rappeler : une assoce de traducteurs indépendants, c’est une organisation de professionnels. Dans un métier où le bouche-à-oreille et la recommandation sont des pratiques courantes, c’est une bonne chose de cultiver ce qu’on appelle si élégamment son « réseau ». Et plus on s’investit dans la vie de l’assoce en question, plus on connaît de monde, plus l’information circule, plus on a de chances de se faire connaître. En six ans, j’ai souvent recommandé des confrères rencontrés grâce à ladite assoce et je me suis souvent fait recommander, le tout avec des résultats plus ou moins fructueux, bien sûr. Mais je n’ai jamais eu à le regretter, ni dans un sens ni dans l’autre (à quelques exceptions près peut-être quand même, me diras-tu, lecteur qui as bonne mémoire de ce blog).
Alors certes, ce n’est peut-être pas la motivation la plus glorieuse qui soit pour donner de son temps bénévolement, mais après tout, dans ce billet, on n’est plus à ça près.
Parce qu’on apprend à faire plein de choses
Les assoces naissantes ont du charme : on y fait tout un peu soi-même. C’est parfois frustrant, parce qu’on aimerait avoir les moyens d’embaucher quelqu’un à plein temps pour s’occuper de l’administration, de la trésorerie, de la communication, du site, de l’organisation des soirées, you name it. Oui mais voilà, ce n’est pas réaliste, alors on se débrouille avec les moyens du bord, on tâtonne, on se plante parfois et globalement, on apprend.
Rédiger un dossier de presse, co-administrer un site, argumenter avec une graphiste, présenter le bilan comptable d’une association, remplir des dossiers de demandes de subventions qui n’ont jamais abouti : autant de choses que je n’aurais jamais appris à faire toute seule dans mon coin. Ça ne m’a pas donné envie de devenir expert-comptable ou webmaster, mais je suis ravie d’en savoir plus qu’il y a six ans dans ces différents domaines et d’avoir acquis petit à petit de nouvelles compétences, même modestes, même incomplètes, même imparfaites.
Parce qu’on apprend à mieux connaître son métier
Mine de rien, il y a du boulot dans ce domaine. Le statut d’auteur dont relèvent la plupart des traducteurs/adaptateurs de l’audiovisuel est particulièrement mal connu par… à peu près tout le monde, administration fiscale comprise. Discuter, comparer les situations, se renseigner, essayer de rassembler des informations éparses, ce n’est jamais du luxe. Faire circuler l’information, renseigner les autres dans la mesure de ses moyens, c’est aussi oeuvrer pour une meilleure (re)connaissance de ce statut et, indirectement, le renforcer, du moins on peut l’espérer.
Mais le statut, ce n’est pas tout. Entre professionnels, on se tient aussi mieux au courant de ce qui se passe dans le métier – dans « les » métiers, en l’occurrence, puisque l’assoce en question représente plusieurs spécialités de la traduction/adaptation audiovisuelle. J’en sais beaucoup plus sur le doublage aujourd’hui qu’il y a six ans, pourtant je n’en ai pratiquement jamais fait. J’ai une meilleure vue d’ensemble des enjeux du sous-titrage et du voice-over, du fonctionnement des différents marchés de la traduction, des erreurs à ne pas répéter, de ce qui attend peut-être les traducteurs/adaptateurs à l’avenir.
Et tout ça, ça permet d’élaborer un discours cohérent (à défaut d’être unitaire, il ne faut pas rêver) sur nos métiers, de mieux comprendre et donc de mieux défendre nos intérêts. Donc c’est utile, pour tout le monde et pour chacun.
Parce qu’on prépare son avenir
C’est grandiloquent, mais c’est vrai, qu’on le veuille ou non. Ce n’est pas un mauvais calcul de s’intéresser aux coups de scie infligés par les uns et les autres à la branche sur laquelle sont assis, en grappe, les traducteurs/adaptateurs de l’audiovisuel. À bien y réfléchir, ça risque même d’être un tout petit peu déterminant pour ce qui se passera demain. Et il peut même être carrément judicieux de se pencher sérieusement sur la question, de se demander un peu ce qui nous attend à l’avenir et de tenter, même modestement, de faire évoluer les choses dans le bon sens (ou dans un sens moins mauvais, en tout cas).
Bref, quelle que soit votre bonne raison un peu égoïste voire un peu honteuse, adhérez et donnez de votre temps, vous ne le regretterez pas. Et si vous jugez que tout va pour le mieux en ce qui vous concerne et/ou que c’est chacun pour sa gueule en ce bas monde, pensez quand même un peu à l’avenir de cette fichue branche, de temps en temps, parce qu’elle ne se porte pas super bien en ce moment.
Bien sûr, cette chouette assoce-là ne fait peut-être pas battre votre coeur parce que vous n’êtes pas dans la traduction/adaptation audiovisuelle. Qu’importe, allez voir du côté des autres, là, là ou là, par exemple. En bonne raison égoïste bonus, ces associations-là proposent aussi des formations à leurs adhérents, et ça, c’est toujours bon à prendre.
(Bon et puis sinon, deux personnes personnes et un bulletin de l’AAE-ESIT ont aimablement attiré mon attention sur la toute jeune Association luxembourgeoise des traducteurs et interprètes. « J’dis ça, j’dis rien », bien sûr.)