Apto-truc
Mot du jour (14)
Parfois (comme il y a un an ici, par exemple), je la trouve agaçante, cette manie de trouver des noms pour tout et n’importe quoi.
Mais d’autres fois (parce que je suis un être bourré de contradictions, il est temps de te l’avouer, lecteur ébaubi de ce blog), je remarque des trucs en me demandant s’ils ont un nom.
Ainsi, il y a un expert en questions agricoles qui est invité de temps en temps sur France Inter. Et ce monsieur, il s’appelle…
Dans le milieu, c’est sans doute presque aussi bien que de porter un nom de céréale :
On peut aussi être un journaliste de 20minutes.fr qui écrit un article sur l’incontournable dinde de Thanksgiving dans les séries américaines en portant le nom de…
Ouais, pour de vrai.
Il y a encore ce pépiniériste de Bergerac qui n’a pas dû avoir de mal à trouver sa vocation…
Ou encore un certain majordome dont le patronyme prend un sens intéressant quand il témoigne devant la justice.
Et ça marche dans d’autres langues, bien sûr. Dans une de mes ultimes traductions de documentaire, j’ai croisé un très chou Neil Daisy, jardinier de son état.
Etc., etc.
On peut même tirer un peu sur la corde en faisant complètement fi de l’orthographe, et s’amuser du fait que le Dr Delajoux puisse réparer des pommettes, ou que mon ancienne prof de français, Mme Boulay, ait été particulièrement… lourdingue.
J’aime bien ces coïncidences insignifiantes parce qu’elles bouclent un peu une boucle : ces noms de famille avaient sans doute une origine bien concrète qu’on a oubliée au fil des ans, c’est une forme de retour aux sources… (et rien n’est perdu : si l’un de mes neveux devient garde-forestier, il renouera ainsi avec le sens de notre nom de famille allemand, difficilement traduisible paraît-il, mais qui désigne grosso modo un genre de chasseur respectueux de la nature).
Mais maintenant, tatatadaaaaam, je sais qu’elles ont un nom, ces coïncidences insignifiantes. Un néologisme venu semble-t-il du Québec les a baptisées « aptonymes ». C’est d’une logique implacable.
Apparemment, le terme a été trouvé d’abord en anglais, par un certain Frank Nuessel. Depuis, on l’a traduit et sa définition figure sur le site ô combien sérieux de l’Office québécois de la langue française :
Sur le site du CCA (Centre canadien des aptonymes – car oui, il existe un Centre canadien des aptonymes), on peut lire :
Ce site est consacré à la diffusion de la curiosité linguistique que l’on nomme LES APTONYMES, et au développement d’une liste à partir d’exemples que nos lecteurs et lectrices auront trouvés dans les journaux, les bottins et les publications variées.
Le terme a été relevé par nos soins dans l’ouvrage de Frank Nuessel, professeur de linguistique à l’Université de Louisville, Kentucky (The Study of Names, Greenwood Press, 1992, p.42). Un aptonyme est un » nom de famille d’une personne qui est étroitement lié à son métier ou à ses occupations », selon la définition donnée par le Grand Dictionnaire Terminologique de l’Office québécois de la langue française (…).
Selon Nuessel, le mot « aptonyme » contient le radical d’origine latine « apte » qui signifie « approprié, qui convient exactement « . La deuxième partie du mot, « nyme », provient du grec « onuma », qui signifie « nom ». La rencontre d’un nom de personne et du métier exercé par cette personne est en principe fortuite. Mais à y regarder de plus près, il semblerait que le hasard fasse parfois des associations vraiment surprenantes. Yaurait-il malgré tout une influence du nom sur le choix de carrière?….mmmmm…La question est posée… Le psychanaliste Carl Jung a abordé ce phénomène dans son étude intitulée « Synchronicité ».
(J’aime bien quand il y a « ….mmmmm… » au milieu d’un texte, moi.)
Et attention, hein, l’aptonyme est connu et reconnu par chez nous aussi, à tel point qu’il existe en France un Centre d’étude et de recherches sur les aptonymes.
Et le CERA publie ses travaux – notamment dans les Carnets trimestriels du Collège de pataphysique, nanmais.
C’est vous dire si c’est du sérieux, tout ça. Le CERA propose sur son site une terminologie complète en lien avec les aptonymes que je trouve fort réjouissante :
Antiaptonyme : non prédestination criarde et répulsive du nom de famille (M. Boucher, chirurgien …)
Aptonânerie : exemple K. Soulet, restaurateur (cf néoaptonyme)
Aptonymement : avec aptonymie ( Apt… vôtre : salutation classique des aptonymistes)
Aptonymes : nom prédestiné. Selon le néologisme de Frank Nuessel, professeur de linguistique à l’Université de Louisville, Kentucky (The Study of Names, Greenwood Press, 1992, p.42), un aptonyme est un nom de personne qui se trouve étroitement associé à un métier ou à une occupation. : Pain, boulanger.
Aptonymie : science de la recherche et de l’étude des relations entre les patronymes et les activités humaines de ceux qui les portent.
Aptonymiser: rechercher des aptonymes : rôle du CAC et du CERA
Aptonymissime: aptonyme qui décrit particulièrement bien le métier de celui qui l’exerce ; il est constitué d’un amalgame de deux mots ou plus : Dr Soulacroup, gynécologue.
Aptonymologie : science de l’aptonymie (par extension : pratique de l’aptonymie à la maison).
Aptonymophile: amateur d’aptonymes
Aptonymophilie: pratique régulière de l’aptonymie. (par extension : déviation pratiquée par les personnes atteintes d’aptonymose : tous les correspondants rôle du CAC et du CERA.
Aptonymophobe: qui n’aime pas les aptonymes , en principe en voie de disparition
Aptonymose : maladie de celui qui voit des aptonymes partout. Le seul remède consiste à se débarrasser des aptonymes en les envoyant pour analyse au CCA ou au CERA. Les rechutes sont heureusement nombreuses.
Contraptonymes : antiaptonyme trivial (M. Pain, fleuriste).
Doublets contraptonymiques : association de deux contraptonymes dans une même entité géographique (M. Serrurier, boucher et M. Boucher, serrurier en région parisienne).
Géo-aptonymes : aptonymes en relation avec la géographie.
Géo-aptynophilie : propension à habiter dans une ville ayant un rapprochement évident avec son patronyme (Paris à Paris ou Levin de Metz).
Hyperaptonymes : accumulation d’aptonymes dans une famille ou une région
Inaptonymes : antinomie de l’aptonyme ; nom de famille non prédestiné. (le mariage de Marie Langlais [de langue française] avec Thom French [de langue anglaise] le 12 décembre 1946, en la paroisse Saint-Dominique de Québec serait un très bon exemple de deux inaptonymes fournissant un hyperinaptonyme. (JF)
Néoaptonyme : faux aptonyme inventé pour tenter d’abuser les aptonymophiles ou aux fins d’exemples.(voir aptonânerie et oulipaptonymes). L’étude des néoaptonymes est indispensable à la découverte des aptonymes
Oulipaptonymes ou ouliptonymes : aptonymes à contraintes (Esses boucher à Laval). Nous sommes là dans le potentiel et le plus souvent il s’agira de néoaptonymes !
Les sites (cousins) du CERA et du CCA proposent sur leurs pages de nombreux exemples réels d’aptonymes ; par ailleurs, un journaliste du Devoir s’amuse aussi à les recenser au fil de l’actualité sur son blog.
Bref, encore un petit mot de plus dans ma besace et peut-être dans la tienne, lecteur à n’en pas douter amateur de néologismes de ce blog. Aptonymement vôtre !