OuLiPo, OuTraPo ?
Parfois, c’est compliqué d’avoir un double statut.
Le traducteur free-lance en statut libéral peut traduire des notices de montage de meubles, des brevets hautement techniques, des contrats commerciaux, des études environnementales, des brochures de constructeurs automobiles, des campagnes marketing, des actes de mariage, des rapports d’activité et autres bilans comptables, des dossiers de médicaments destinés à l’AFSSAPS, des cahiers des charges, des communiqués de presse, des logiciels et mille autres choses encore.
Le traducteur free-lance en statut d’auteur peut traduire de la littérature jeunesse, des romans à l’eau de rose, des oeuvres de fantasy, de la poésie, des polars, des essais politiques, des ouvrages pratiques consacrés à tel ou tel hobby ou métier, des beaux livres sur l’art, des articles pour des revues, des fictions (en sous-titrage ou en doublage), des documentaires, et j’en oublie.
À part quelques domaines où il règne un certain flou (sites ? catalogues de festivals ? scénarios ? livrets de CD ?), tout cela est relativement cloisonné.
C’est en DESS de traduction que j’ai appris que j’allais devoir me coltiner DEUX statuts sociaux et fiscaux en parallèle pour faire ce qui me semblait être un seul et même métier, à savoir traduire des trucs de nature diverse de l’anglais et de l’allemand vers le français. Un statut, donc, pour la traduction économique et juridique (plus quelques bricoles dans d’autres domaines) et un autre pour l’audiovisuel (plus, très ponctuellement, quelques incursions dans la traduction d’édition).
À l’époque, ça m’a contrariée (oui, j’ai un sale caractère). Et dans les faits, ce double effort de gestion permanent, c’est aussi : une double comptabilité, une double série de facturation (et on ne met pas les mêmes trucs dans les notes d’honoraires et dans les notes de droits d’auteur, qui plus est), des déclarations et cotisations sociales en double aussi, sans oublier la double déclaration de revenus destinée à l’administration fiscale. Tout ceci impliquant potentiellement une double série d’emmerdes en termes de clients mauvais payeurs, d’administrations rétives (au pif : l’Urssaf) et de contacts avec les Impôts.
se livrent une concurrence féroce. Qui arrivera à 200 en premier ?
Depuis un moment déjà, je me pose des questions. Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux me limiter à un seul statut ? Moins me disperser ? Laisser tomber le statut libéral, qui nécessite une gestion de trésorerie parfois délicate (en raison du mode de calcul tordu des cotisations sociales), un suivi comptable plus régulier et de la paperasse plus embêtante que le statut d’auteur ?
Eh bien pour tout te dire, lecteur compatissant de ce blog, je n’arrive pas à me décider à laisser tomber l’un ou l’autre. Choisir entre les documentaires animaliers et les dossiers de prêt, c’est un vrai dilemme (je conçois que pour certains, la question ne se pose même pas). Oui, c’est agréable de travailler sur des oeuvres audiovisuelles. Mais ce n’est pas désagréable non plus de travailler sur des choses a priori plus rébarbatives. J’ai l’impression de ne pas faire appel aux mêmes parties de mon cerveau et j’aime bien me dire que j’entretiens des « muscles » différents.
Et puis finalement, en discutant il n’y a pas longtemps avec quelqu’un qui ne connaissait pas du tout mon métier (« Ta question d’orthographe, pose-la à Les Piles, elle a traduit plein de livres »… ah bon ?), j’en suis arrivée à la conclusion que si, il y avait bien une constante, dans tout ça.
Je crois que la constante, pour faire court, c’est l’OuLiPo, cette idée que c’est la contrainte qui est à l’origine de la créativité dans l’écriture. Une contrainte qui varie selon le type de traduction. En sous-titrage, elle réside dans le nombre de caractères maxi qu’on a le droit de caser dans chaque sous-titre et dans l’harmonie visuelle qu’il faut obtenir dans la composition dudit sous-titre (pas le droit de laisser un « le » tout seul à la fin d’une ligne, par exemple). Dans le voice-over, la contrainte est moins évidente, mais elle est quand même là : j’en reparlerai à l’occasion, mais il faut aussi reformater un peu le discours des intervenants afin qu’il corresponde à la ligne éditoriale de la chaîne pour laquelle on traduit, produire un style oral et fluide, réécrire parfois pour rendre plus vivant un texte original un peu planplan. En traduction juridique, il s’agit de se couler dans une terminologie impitoyable et de se débrouiller pour construire des phrases autour. Dans les textes financiers que je traduis pour un autre client, il faut reproduire le style froid, précis et pourtant élégant qui caractérise tous les documents émanant de ses services. De véritables « à la manière de… », quand on y pense.
C’est sûr, on ne joue pas avec les mots de la même façon quand on sous-titre les jeux de mots d’une vieille comédie américaine et les statuts d’une société financière. Mais d’une certaine façon, on joue toujours avec les mots, on malaxe la langue (si si), on retourne des bouts de phrase dans tous les sens pour se couler dans un cadre, quel qu’il soit.
Et finalement, c’est ça qui me plaît et qui me convient : faire un métier d’écriture, mais encadré, où je n’ai pas besoin d’aller chercher des idées géniales (ou pas) pour gagner ma vie, puisque quelqu’un les a trouvées avant moi.
Mais parfois, je rêve d’un statut libéral vachement plus pratique, où les cotisations sociales seraient prélevées à la source comme chez les auteurs, et où les déclarations de TVA se feraient en claquant des doigts.
Mary Poppins forever, les amis.