Les Piles intermédiaires

Le quotidien bordélique d'une traductrice à l'assaut des idées reçues. (Et des portes ouvertes, aussi, parfois.)

Au menu #1

Dans les jeunes années de ma passionnante existence, quand votre blogueuse dévouée vivait dans une petite ville lorraine pas très active près de la frontière allemande, la grande distraction consistait à se rendre dans LA métropole germanique toute proche : Sarrebruck, Saarbrücken pour les intimes. Les expéditions à Sarrebruck, c’était toujours un peu l’aventure : on ressortait les marks de la chope décorative dans laquelle ils étaient stockés (parfois on se trompait et on emportait des francs suisses, hi hi), on passait la frontière (en train, trop cool) et on trottait allègrement pendant une matinée complète (avec un crochet incontournable par la boutique de jouets en bois, youpi). Puis on allait s’attabler avec appétit à la cafétéria du Karstadt, le grand magasin funky du coin.

Une architecture aérienne, un chic inimitable : le Karstadt de Sarrebruck

Et là, commençait alors un petit jeu de devinettes, toujours le même, pour décrypter le menu rédigé en langue locale. J’avais quatre ans, donc j’étais hors-jeu malgré ma grande précocité intellectuelle. Ma mère, de son côté, faisait de son mieux pour repérer quelque chose de familier dans cet enchevêtrement de termes barbares et finissait de guerre lasse par faire un choix un peu au hasard.

Dix minutes plus tard, deux assiettes arrivaient sur la table, et immanquablement, leur contenu indéfinissable (noyé sous une sauce brune) n’avait pas grand-chose à voir avec ce qu’on pensait espérait obtenir.

Après un instant de perplexité, la sentence maternelle tombait, sombre et désabusée : « De toute façon, en Allemagne, on n’a jamais ce qu’on croit avoir commandé. »

Au terme de cet émouvant préambule, je pourrais te dire, lecteur crédule de ce blog, que c’est à cette époque que j’ai décidé de devenir traductrice quand je serais grande, afin d’oeuvrer en faveur d’une meilleure compréhension entre les shoppeurs frontaliers français et le personnel de la cafétéria du Karstadt de Sarrebruck. Ce serait une légère exagération, je le concède, mais disons que ces souvenirs d’incompréhension culinaire m’ont rendue attentive à une question ô combien cruciale : la traduction des menus.

Ça n’a pas l’air comme ça, mais c’est un problème incroyablement délicat, la traduction d’un menu. Dans un pays touristique comme le nôtre, où la bouffe (ou la gastronomie, selon l’établissement considéré) joue un rôle central et relève de la culture, que dis-je, de l’art de vivre, il semble évident que les restaurants qui prennent la peine de faire traduire leur menu devraient le faire bien, c’est-à-dire en confiant cet exercice périlleux à un professionnel – au pif, un traducteur de langue maternelle anglaise vivant en France depuis plusieurs années et si possible amateur de bonne chère. Quelqu’un qui serait à même de restituer toutes les nuances d’une carte et surtout de comprendre instinctivement ce qui se cache derrière des appellations telles que « panier vapeur d’effilochade de poulet mariné », « tourtière de canard aux saveurs du Quercy », « nougat de turbot en croûte d’agrumes et d’arachides », « royale de petits pois avec croustillant d’algues aux langues d’oursins », ou encore « compression d’araignée de mer accompagnée de son coulis aux cacahuètes grillées et d’un cromesquis au fumet corsé » (tous ces exemples sont authentiques).

Eh bien permets-moi de te dire qu’il n’en est rien, lecteur déconfit d’oie de ce blog. Trop souvent, les traductions de menus sont visiblement faites par les restaurateurs eux-mêmes (ou alors par la nièce du copain Jacquot qui a eu 14 au Bac en anglais, j’te promets qu’elle se débrouille, la p’tite, et puis c’est pas sorcier, hein, suffit de recopier les mots en anglais) et le résultat est pour le moins surprenant.

Après avoir lu ce billet fort réjouissant rédigé par une Australienne exilée dans les Alpes – et en souvenir d’un fou rire devant un menu bilingue, un soir de quête de resto avec Copine B. dans le 17e – il m’a semblé qu’il était temps d’inaugurer une nouvelle catégorie de billets consacrés à la traduction de menus. Pas seulement pour ricaner bêtement (ce n’est absolument pas le style de la maison), mais pour rappeler un point essentiel : une mauvaise traduction est souvent pire que pas de traduction du tout (il y aurait d’ailleurs un créneau à prendre, me semble-t-il, pour un traducteur spécialisé…).

Je commence avec du très light, parce que le billet de lefrancophoney.com est excellent et met la barre trop haut pour que je puisse rivaliser avec un tel niveau d’analyse. Voici deux petites photos, prises dans mon quartier, d’un étrange menu parfois en franglais, parfois en anglais (?) – menu unique, je précise, pas de version intégralement francophone présentée dans la vitrine :


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