Les Piles intermédiaires

Le quotidien bordélique d'une traductrice à l'assaut des idées reçues. (Et des portes ouvertes, aussi, parfois.)

L’arnaque (totale)

Le formidable média qui me fait vivre a beau être une lucarne à blaireaux (à ce propos, connaissez-vous Eric Toulis ?), il a parfois de bonnes idées. Comme celle de programmer L’Arnaque dimanche soir.

Au passage, je ne sais pas si le site programme tv point com a un différend avec Arte ou si son budget photos a été revu à la baisse, mais voici l’image qu’ils avaient choisie pour illustrer l’article annonçant la diffusion de L’Arnaque :

Futé, non ? Comme si j’essayais de vous vendre Ocean’s Eleven avec ça :

Alors qu’il était tellement facile de montrer ça :

(option gravure de mode)

Ou même ça :

(option plomberie)

Car il est bien connu qu’un Paul Newman entier, même habillé et mal rasé dans une baignoire, vaut toujours mieux qu’un Paul Newman coupé au milieu du nez, même en smoking et noeud pap.

Je veux pas me mêler de ce qui me regarde pas, hein…

Mais c’est la base, quoi.
Nan mais j’te jure…
Bande de bras cassés.
J’adore jouer avec la taille des polices sur ce blog, zavez remarqué ?

(élégant raclement de gorge et fin de l’aparté)

Dimanche soir, donc, je me suis installée confortablement sur mon désormais mythique canapé un peu avant 21h avec une relecture à finir sur les bijoux cailloux choux genoux en attendant le début du film.

Que je vous essplique : L’Arnaque n’a rien d’un chef d’oeuvre incontournable du 7e art, mais c’est l’un des rares dénominateurs cinématographiques communs à tous les membres de ma famille. Quand les parents ont enfin fait entrer une télévision et un magnétoscope dans le salon en 1988, c’est un des premiers films qu’on a enregistrés. Et on l’a gardé précieusement depuis tout ce temps (c’était autre chose, la qualité des VHS à l’époque, ma bonne dame). C’est à dire qu’on l’a tous vu 50 fois, qu’on est tous toujours partants pour le revoir une 51e fois, et que – au grand dam de mes belles-soeurettes et de The Man – mes frères et moi avons tendance à jouer à « qui dira la réplique avant les autres » quand arrivent les (nombreuses) scènes que nous connaissons littéralement par coeur. C’est super sympa, les soirées films en famille. Heureusement pour les autres, ça n’arrive pas souvent.

Mais dimanche, j’étais seule. Donc je n’avais pas forcément prévu de jouer à réciter les répliques. Et puis j’avais quand même un peu de boulot à finir, soyons sérieux (pffff ouarf, ouarf, ouarf).

Et surtout, surtout, je n’avais jamais vu L’Arnaque en VO, révélation qui, lecteur incrédule de ce blog, te laisse bouche bée et me paraît à moi-même insensée, mais c’est un fait. Pourtant, d’une manière générale, dans le vaste débat aussi stérile qu’éculé sur les mérites respectifs du sous-titrage et du doublage, je serais plutôt du genre ayatollah du sous-titrage, avec toute la radicalité et la stupidité entêtée qu’implique cette métaphore osée et finalement d’assez mauvais goût. Rares sont les versions doublées qui ont mes divines faveurs (A la Maison Blanche, Meurtre mystérieux à Manhattan et à la rigueur quelques James Bond ainsi qu’une poignée d’Hitchcock, mais ça s’arrête là).

Voyant que L’Arnaque était diffusé en version multilingue (cette merveille technologique qui constitue un casse-tête pas possible pour les auteurs de doublage et de sous-titrage mais ce n’est pas l’objet du présent billet, qui n’est que joie, bonne humeur, cinéphilie exigeante et idolâtrie d’acteurs trop bien gaulés), j’ai sélectionné l’option VOST et me suis préparée psychologiquement à faire fi d’un minime (hem…) décalage des sous-titres par rapport à la VO et de l’esthétique désastreuse du télétexte.

Les sous-titres étaient bons. Ils n’étaient même pas décalés. Newman et Redford avaient leur voix normale. La bande-son d’origine était bien nette. Tout était au poil (si vous avez lu « Tout le monde était à poil », passez votre chemin, L’Arnaque est à mon grand désespoir un film très habillé).

Mais je n’ai pas tenu dix minutes.

En VO, Luther ne disait plus « Te dire que c’est le Pérou… mais c’est un peu plus légal ». En VO, Johnny Hooker ne s’appelait plus « Johnny Le Crocheteur ». En VO, la police ne s’appelait plus « la rousse » ni « la maison poulaga ». En VO, un portefeuille ne s’appelait plus « un marlingue », un nez cassé n’était plus « un blase en chou-fleur », Johnny le Crocheteur n’était plus « sapé comme un milord ». En VO, on ne filait plus en loucedé, on ne flambait plus le toutim, on ne visait plus la grande faisande.

Bref L’Arnaque en VO, ce n’était plus L’Arnaque.

Bien sûr, il y avait à la place l’argot américain des années 30, tout aussi fleuri et objectivement plutôt bien sous-titré. Mais je me suis rendu compte que le côté outré et San-Antoniesque des dialogues français représentait en fait à mes yeux (et mes oreilles) environ 80% du charme du film (ça ne laisse que 20% à Newman et Redford, ce qui entre nous est assez minable pour deux soi-disant séducteurs mythiques, mais j’dis ça, j’dis rien). Et hop, je suis repassée en VF. Et zou, j’ai passé une excellente soirée.

Depuis, j’en voudrais presque à l’auteur du doublage – dont le nom n’apparaissait pas au générique de fin, d’ailleurs (pas plus que celui de l’auteur des sous-titres). A cause de son talent, jamais je ne pourrai voir ce film en VO sans regretter la VF. Drôlement fort, le gars (si c’est un gars).

Il m’a eue (Caramba, tou m’as touée !). Je me sens… arnaquée, ben oui, rien d’étonnant me direz-vous.

Franchement, pff, trop dég.

L’apauvrissement sémantique dont témoigne cette dernière phrase me fait penser qu’il serait temps de conclure ce billet.

Mais allez, dites-le-moi, vous qui savez : c’est qui, l’auteur du doublage de L’Arnaque ? Sssiiii, soyez sympa…

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