De la mélancolie
Ces journées un peu grises sont l’occasion de vous parler de W.G. Sebald (dit « Max » Sebald), cet auteur allemand exceptionnel décédé prématurément fin 2001. En France, il est édité chez Actes Sud et traduit par Patrick Charbonneau. J’emploie le présent car plusieurs écrits de Sebald sont sortis chez nous bien après sa mort (le dernier en date, Campo Santo, en février 2009). Au Royaume-Uni, l’un des premiers pays où il connut une forme de succès, il était notamment traduit par l’excellent Michael Hamburger (lui aussi décédé aujourd’hui – décidément, tout cela est très gai).
Ce défricheur de la mémoire au style lyrique et mélancolique continue de me fasciner et a tendance à obséder à peu près tous les gens qui se sont penchés sur ses oeuvres et se sont laissés entraîner dans son univers si particulier, fait de récits mi-autobiographiques, mi-fictionnels, ponctués de photos et de morceaux de « vraie vie » qui accentuent encore l’ambiguïté du point de vue du narrateur.
Sebald m’a aussi valu une de mes premières déconvenues professionnelles, mais je ne suis pas rancunière – en 2004, traductrice encore relativement fraîchement diplômée, j’ai eu l’inconscience de contacter Actes Sud et de proposer mes services pour l’édition française des essais littéraires de Sebald. J’avais traduit avec application les premières pages de son étude sur Joseph Roth et rédigé un courrier percutant pour accompagner cet échantillon et tenter de faire passer ma passion pour le bonhomme (je n’ai jamais relu cette traduction ni cette lettre, je suis à peu près sûre qu’elles me vaudraient aujourd’hui une double crise d’apoplexie).
Autant dire que la personne qui a reçu mon courrier n’a pas été séduite par mon style ; mais Actes Sud a quand même pris la peine de me répondre, en substance, que si par le plus grand des hasards Patrick Charbonneau venait à mourir prochainement, on envisagerait peut-être de faire appel à quelqu’un d’autre, mais que bon, fallait pas trop compter dessus (et ils avaient bien raison, car Charbonneau sait parfaitement rendre justice à la prose sebaldienne). A la suite de quoi j’ai revu mes ambitions à la baisse et envoyé une candidature aux éditions Harlequin, ce qui m’a valu de traduire quelques mois plus tard un chef d’oeuvre inoubliable de la littérature sentimentale qui est, contre toute attente, répertorié sur le site de la librairie Actes Sud à Arles…
Tout ça pour dire, surtout, que le Goethe-Institut de Paris (17 avenue d’Iéna dans le 16e) propose d’aujourd’hui au 26 juin une exposition sur Sebald.
Notes, cartes postales, photographies et documents sur Austerlitz, parmi lesquels le manuscrit original.
Plus que tout autre auteur germanophone contemporain, W.G. Sebald (Winfried Georg Maximilian), qui aurait eu 65 ans le 18 mai, est profondément ancré dans l’histoire de la littérature internationale. L’exposition présente, pour la toute première fois, le manuscrit original de son roman le plus célèbre Austerlitz. On peut y voir tout l’art de l’écriture poétique de Sebald, ainsi que le rapport qui le liait à la France, où il situe son action. Parmi les divers documents que nous a confiés le Deutsches Literaturarchiv Marbach où ils sont conservés, nous suivons, de la première à la dernière page du manuscrit, l’itinéraire du personnage principal Jacques Austerlitz à travers Paris, de la découverte de son prénom français jusqu’à la découverte de son père gare d’Austerlitz.
W.G. Sebald a reçu de nombreuses distinctions, notamment, en 2000, le Joseph-Breitbach-Preis, le prix littéraire allemand le plus prestigieux. Il est l’auteur, entre autres, de Schwindel, Gefühle (Vertiges, Gallimard, 2003); Die Ausgewanderten (Les Émigrants: quatre récits illustrés, Gallimard, 2003); Die Ringe des Saturns (Les Anneaux de Saturne, Gallimard, 2003); Luftkrieg und Literatur (De la destruction comme élément de l’histoire naturelle, Actes Sud, 2004); Logis in einem Landhaus (Séjours à la campagne, Actes Sud, 2005).
Une lecture d’extraits du « roman du siècle » aura lieu par le comédien André Wilms le lundi 8 juin à 19h, avec une introduction de Patrick Charbonneau, traducteur.
France Culture a consacré le mois dernier une émission à Max Sebald, qui peut être écoutée ici (ce lien s’ouvre directement dans le JoueurRéel) et constitue une bonne introduction à son oeuvre et à son style.
Pour ceux qui auraient envie d’entendre son merveilleux accent en anglais et sa voix grave inimitable, voici par ailleurs un long entretien avec Sebald diffusé dans le cadre de l’émission « Bookworm » sur la radio californienne KCRW quelques jours avant sa mort dans une atmosphère feutrée de conversation au coin du feu… (c’est beau, la radio, non ?)
La très belle couverture de l’édition anglaise de Nach der Natur, paru chez Random House en 2002.